" Les escarmouches étaient, à son grand regret, sans résultats. Il (l’Empereur) se flattait, avec raison, que le prince d’Eckmühl en viendrait aux mains avec le prince Bagration et se réjouissait de voir ce bras droit du vieux Souvaroff aux prises avec le plus tenace de ses lieutenants " (Vers Moscou, T.1, p.360)
" Dès lors, l’Empereur, qui ne douta pas que ses ordres réitérés fussent parvenus aux maréchaux d’Eckmühl et d’Elchingen et qu’ils nous rejoindraient le soir ou dans la nuit, ordonna à la vieille Garde de suivre le mouvement sur Liadouï. Le duc de Trévise, avec les Hollandais et la jeune Garde, fut chargé de tenir la position jusqu’à la nuit et y fut rejoint dans l’après-dîner par le prince d’Eckmühl. Ce maréchal, ayant reçu les ordres de l’Empereur, les avait transmis au maréchal d’Elchingen et était venu bivouaquer le 16 au delà de Korytnia ; mais, sentant combien il était urgent de presser son mouvement, il ne s’y était arrêté que peu d’heures et en avait prévenu le maréchal d’Elchingen. Pendant que l’Empereur bravait l’adversité à Krasnoë et que les Russes profitaient si peu de leurs avantages, le maréchal d’Elchingen, chargé de l’arrière-garde où l’on se battait chaque jour, ayant eu une affaire assez chaude le 13, n’était arrivé que le 15 à Smolensk, qu’il trouva pillée, selon lui, par les troupes du 1er Corps, et, selon le prince d’Eckmühl, par les isolés. [...] Telle était la situation du maréchal d’Elchingen, qui avait reçu les différents ordres de l’Empereur et, dans la soirée, la dernière lettre du prince d’Eckmühl qui lui donnait avis des évènements qui venaient de se passer sur la route, en le prévenant que, pour ne point compromettre son corps et donner à l’ennemi le temps de se renforcer, il accélérait son mouvement et l’engageait en conséquence à en faire autant, mais le duc d’Elchingen ne put partir que dans la nuit. Placé entre le danger trop réel de voir ses troupes se débander si elles mouraient de faim ou celui d’avoir à combattre un ennemi supérieur, il choisit la chance qui convenait à son audace et au courage éprouvé de ses troupes. " - Tous les Cosaques et les Russes du monde, s’écria-t-il en recevant le dernier avis du prince d’Eckmühl, ne m’empêcheront pas de rejoindre l’armée. " Il tint parole et prouva que l’impossible est dans le domaine d’un tel courage. (T.2, p.151-152) [...]
On ne savait rien de positif sur le 3ème Corps, dont le 1er n’avait aucune nouvelle depuis le 16. Aucun officier n’était revenu ; ceux qu’on lui avait envoyés étaient-ils parvenus ? L’Empereur se perdait en conjectures. La présence de Miloradovitch, resté dans sa position, et le départ de nos troupes pouvaient dès lors laisser prévoir tous les dangers que courait le maréchal d’Elchingen. Les graves reproches que se firent les deux maréchaux, le jugement sévère que le quartier général et toute l’armée portaient sur l’un d’eux (Davout), me font un devoir de ne rapporter que les expressions de l’Empereur, que les opinions particulières du prince de Neuchâtel et les détails que des personnes dignes de foi donnèrent tout haut au quartier général. L’Empereur et le prince de Neuchâtel répétaient que les deux maréchaux devaient marcher de concert et se soutenir, que le duc d’Elchingen, faisant la retraite et sa marche dépendant des obstacles que lui opposerait l’enneni, le prince d’Eckmühl avait dû régler ses mouvements sur les siens. Mais les maréchaux ne s’aimant pas et ayant eu un différend assez vif sur le pillage de Smolensk, ne se concertèrent pas. Le maréchal d’Eckmühl reçut, étant encore sur les hauteurs de Smolensk, l’ordre de presser son mouvement et de faire passer au maréchal d’Elchingen celui qui renfermait la même injonction. Il le lui envoya et en conserva le reçu, ainsi que le rapport de l’officier qui en fut porteur et que le maréchal accueillit assez mal en lui disant, quant à l’injonction de se presser de partir, que " tous les Russes de la terre et leurs Cosaques ne l’empêcheraient pas de passer ". Le maréchal d’Eckmühl lui proposait de partir le soir et le prévenait qu’il se mettait en marche pour soutenir la division Gérard, qu’il avait échelonnée depuis la veille sur la route. Le maréchal d’Elchingen, retenu par la nécessité de donner du pain à ses soldats, ne tint pas plus compte du second avis du maréchal d’Eckmühl que du premier. Celui-ci marcha comme il l’avait annoncé. A peine s’arrêta-t-il quelques heures le soir après Korytnia d’où il repartit avant le jour pour rejoindre la division Gérard. Entendant une forte canonnade, il s’y porta. Apprenant alors que la route était interceptée, il s’empressa de donner tous ces détails au maréchal d’Elchingen et pressa son mouvement. A peu de distance, il rencontra quelques détachements peu en ordre des corps du Vice-roi, ce qui le décida à marcher au canon au lieu d’attendre, pensant que sa coopération aurait le double avantage de dégager le Vice-roi et d’ouvrir le passage à Ney. Cette résolution et la bonne contenance des troupes du général Gérard en imposèrent aux Russes, inquiétés d’ailleurs par la diversion qu’opérait l’attaque de la Garde ordonnée par l’Empereur. L’ennemi évacua la route et le 1er Corps rallia l’armée. C’est ainsi que le maréchal d’Eckmühl expliqua cette affaire et me l’a racontée depuis. Les détails qui suivent sont les faits, tels que l’Empereur et le prince de Neuchâtel les racontèrent alors. Le 1er Corps, instruit des dangers qui menaçaient le Vice-roi qui le précédait, pressa son mouvement en en prévenant toutefois le maréchal d’Elchingen mais sans s’embarrasser si celui-ci le suivait. Il accéléra d’autant plus son mouvement qu’il se vit pressé et attaqué par les Russes. Ayant reçu des ordres pour accélérer son mouvement et pour les transmettre au 3ème Corps, le maréchal d’Eckmühl pensa que le duc d’Elchingen, chargé de l’arrière-garde, étant prévenu, presserait aussi le sien. On ne s’attendait point à une attaque régulière et on ne s’inquiétait nullement des hourras des cosaques pour le 3ème Corps. Le prince d’Eckmühl disait que tout autre parti aurait compromis inutilement les débris des régiments qui lui restaient sans servir le maréchal d’Elchingen, puisque le 1er Corps aurait été détruit ou enlevé avant qu’il eût pu rejoindre le duc d’Elchingen ou être rejoint par lui. Cette nouvelle transpira dans la journée. On ne peut se faire une idée du déchaînement, de la rage qu’on manifesta contre le prince d’Eckmühl. Le maréchal d’Elchingen était le héros de la campagne et le général, d’ailleurs, dont on était inquiet. L’intérêt qu’on prit à sa position fut général et tel qu’on ne garda aucune mesure en parlant du prince d’Eckmühl et très peu même quand il vint chez l’Empereur et quand on le rencontrait. L’Empereur et le major général rejetaient d’autant plus sur lui le malheureux événement qu’on redoutait, qu’ils voulaient se justifier du tort d’avoir laissé de si grands intervalles entre le départ des colonnes, le duc d’Elchingen n’ayant pu quitter Smolensk que le 17. (T.2, p.156-158)
L’état-major dit hautement qu’en recevant cette nouvelle, l’Empereur avait prescrit au prince d’Eckmühl de rétrograder et de marcher au devant du corps qu’il aurait du soutenir ; mais cet ordre du premier mouvement était donné avec la conviction qu’il ne pourrait être exécuté au moment où il arriverait. Aussi, le prince d’Eckmühl serra-t-il toujours et avec raison sur les corps qui le précédaient. Le sien était réduit à presque rien. Il est fâcheux que tout le monde n’ait pas eu l’ordre d’en faire autant depuis Smolensk. (T.2, p.159)
Le prince de Neuchâtel répétait hautement, comme l’Empereur, que le prince d’Eckmühl avait abandonné le maréchal d’Elchingen, malgré les ordres les plus formels. Il montra même les minutes de deux ordres qui lui avaient été donnés, mais ces ordres ne changeaient rien à l’état des choses, ni aux circonstances qui avaient forcé chacun à faire ce qu’il avait fait. (T.2, p.160)
Le prince de Neuchâtel montrait à tout le monde les ordres donnés par l’état-major général au prince d’Eckmühl, comme s’il eût voulu se justifier d’avance de ce qui pouvait arriver au duc d’Elchingen. Il me les communiqua aussi. Le déchaînement contre le prince d’Eckmühl était d’autant plus général que l’Empereur lui imputait aussi, hautement, tous les dangers que pouvait courir le 3ème Corps. (p.161)
Ce qui eut lieu dans cette occasion, tenant à un enchaînement de circonstances graves, difficiles et toutes plus fâcheuses les unes que les autres, il faut avoir été témoin et acteur dans les combinaisons du chef et dans les événements arrivés à celui qu’on inculpe pour fixer avec justice son opinion sur la conduite d’un militaire qui a rendu de si glorieux services. On ne peut nier qu’une fois près de Krasnoë, M. le prince d’Eckmühl eût compromis son faible corps en attendant le maréchal d’Elchingen sans rendre sa situation meilleure, car le 1er Corps n’était plus qu’un fantôme. Personne n’avait encore fait entrer dans ses calculs les retards, les contrariétés, les conséquences de cette gelée qui nous avait déjà décimés et avait aussi dérangé tous les projets. (T.2, p.161-162)
Cette audacieuse retraite du maréchal d’Elchingen, comparée à ce qu’on appelait la prudence de son collègue, faisait d’autant plus le sujet de toutes les conversations qu’on n’aimait pas le prince d’Eckmühl. Grands et petits profitaient de l’occasion pour lui jeter la pierre, sans examiner si les ordre qu’il avait reçus, les avis qu’il avait donnés au maréchal d’Elchingen, les circonstances où il s’était trouvé ne le justifiaient pas. (T.2, p.165)