Dedem de Gelder

Mémoires du général baron VAN DEDEM DE GELDER (1774-1825) - Un général hollandais sous le premier Empire - Paris, Plon,Nourrit et Cie, 1900

Raconté par DEDEM DE GELDER

" Le prince d’Eckmühl est l’homme qui sait le mieux obéir et par là même a appris à commander. Jamais il n’y a eu un chef plus sévère pour la discipline, plus juste et s’occupant davantage du soldat, de son instruction et de ses besoins, et nul souverain n’a eu un serviteur plus fidèle et plus dévoué. Il n’a jamais gaspillé les ressources d’un pays. Deux fois il a pesé avec une main de fer sur la Prusse, la première après la paix de Tilsitt ; et il fut chaque fois d’une dureté outrageante pour l’humanité ; mais ce n’a jamais été l’intérêt qui l’a guidé ; ses mains sont pures comme l’or ; il se vengea seulement de l’accueil froid et humiliant qu’il avait reçu à Tilsitt de la part de l’empereur Alexandre et du roi de Prusse ; on lui avait persuadé que la reine de Prusse avait voulu le faire empoisonner, et il crut servir la cause de son maître et se venger en ne laissant à la Prusse que les yeux pour pleurer. Jamais le maréchal Davout n’a rien pris pour lui. Il vivait de ses revenus à Hambourg, tandis qu’il faisait donner des frais de table aux généraux et aux colonels ; il a toujours été le père de son armée ; s’il a durement châtié les princes et les peuples ennemis de Napoléon, ceux-ci ne peuvent pas lui refuser l’éloge flatteur d’avoir été partout sévère, juste et intègre. Il se faisait passer pour plus méchant qu’il n’était réellement ; souvent bourru et malhonnête, quelquefois brutal ; mais quand on parle de ses cruautés, on est en général injuste. Ceux qu’il a fait fusiller l’avaient bien mérité d’après les lois militaires de tous les pays, et le nombre en est bien petit en comparaison de celui des coupables. Que d’embaucheurs, que d’espions anglais sont venus à Hambourg, qui vivent encore ! Et où en seraient Hambourg et toute la trente-sixième division militaire si, après la révolte de 1813, le maréchal eût fait exécuter les ordres de l’Empereur, ordres que le prince de Neufchâtel lui avait répétés dans plus d’une lettre ? Pas un sénateur, pas un homme marquant du pays n’existerait. S’ils vivent, ils en sont redevables au prince d’Eckmühl. Il a pris l’argent de la banque de Hambourg pour payer les troupes ! Quel est le général qui n’en eût fait autant ? Il a fait raser les maisons de campagne qui pouvaient favoriser l’approche de l’ennemi ! N’était-ce pas une précaution nécessaire ? Mais ce que beaucoup d’autres généraux n’eussent point fait, c’est qu’il a fait fusiller pendant le siège un soldat pour avoir enlevé de force un pot de beurre à une femme qui revenait du marché. Y a t-il de sa faute si, lorsqu’il ramenait en France trente-cinq mille braves disciplinés, couverts de gloire, habillés, payés et contents, on n’en a point voulu ; si on les a forcés de déserter et si on les a rendus ennemis des Bourbons à force de les humilier et de les maltraiter, du jour même où ils arrivèrent sur le territoire français ? Cependant ces vieux soldats de Napoléon avaient non seulement pris la cocarde blanche, mais ils avaient déjà combattu sous la bannière des Bourbons, et ils avaient voulu défendre Hambourg pour donner au Roi le moyen de ne rendre cette place importante qu’en compensation. Moi aussi, j’ai eu des altercations avec le prince d’Eckmühl, et j’ai demandé au ministre de la guerre de quitter son corps d’armée avant la campagne de Russie. Je sais bien qu’il n’était pas toujours aimable, mais je serai toujours fier d’avoir servi sous ses ordres, d’avoir été chez lui à une école instructive, et si nous avions à refaire la guerre, je ne demanderais pas mieux que de servir à nouveau sous ses ordres. Ceux qui servent avec zèle sont certains d’obtenir son approbation, ce qui est quelque chose, et de petits désagrèments sont compensés par de grands avantages ". (p.196-198)