Fleury de Chaboulon

M. FLEURY de CHABOULON " Mémoires sur la vie privée, le retour et le règne de Napoléon en 1815 " , Ed. John Murray, Londres, 1819

Raconté par FLEURY DE CHABOULON

" Le prince d’Eckmühl fut nommé ministre de la guerre. Par la dureté de ses manières et de son langage ; par des actes de sévérité presque barbares, il s’était attiré autrefois l’animadversion universelle : sa fidélité à l’Empereur et la défense de Hambourg l’avaient réconcilié depuis avec l’opinion. La faiblesse, la versatilité de son caractère excitaient bien quelques inquiétudes, mais on espérait que l’Empereur saurait le maîtriser, et que l’armée retirerait d’heureux avantages de son zèle infatigable, et de sa sévère probité ". (T.1, p.262)

" Le prince d’Eckmühl se trouvait aux Tuileries au moment où M. de Flahaut s’y présenta. Il ne vit dans la mission de ce général qu’un subterfuge de l’Empereur, pour différer son départ. "Votre Bonaparte", lui dit il avec le ton de la colère et du mépris, "ne veut point partir ; mais il faudra bien qu’il nous débarrasse de lui ; sa présence nous gène, nous importune ; elle nuit aux succès de nos négociations. S’il espère que nous le reprendrons, il se trompe ; nous ne voulons plus de lui. Dites lui de ma part qu’il faut qu’il s’en aille, et que s’il ne part à l’instant, je le ferai arrêter, que je l’arrêterai moi-même". M. de Flahaut, enflammé d’indignation, lui répondit : "Je n’aurai jamais pu croire, M. le maréchal, qu’un homme qui, il y a huit jours, était aux genoux de Napoléon, put tenir aujourd’hui un semblable langage. Je me respecte trop, je respecte trop la personne et l’infortune de l’Empereur, pour lui reporter vos paroles ; allez y vous-même, M. le maréchal, cela vous convient mieux qu’à moi". Le prince d’Eckmühl, irrité, lui rappela qu’il parlait au ministre de la guerre, au général en chef de l’armée, et lui prescrivit de se rendre à Fontainebleau, où il recevrait ses ordres. "Non, monsieur," reprit vivement le comte de Flahaut, "je n’irai point ; je n’abandonnerai pas l’Empereur ; je lui garderai jusqu’au dernier moment la fidélité que tant d’autres lui ont jurée".
- "Je vous ferai punir de votre désobéissance !"
- "Vous n’en avez plus le droit. Dès ce moment je donne ma démission. Je ne pourrais plus servir sous vos ordres sans déshonorer mes épaulettes". Il sortit. L’Empereur à son retour s’aperçut qu’il avait l’âme blessée ; il le questionna ; et parvint à lui faire avouer ce qui s’était passé. Habitué depuis son abdication à ne s’étonner de rien, et à tout souffrir sans se plaindre, Napoléon ne parut ni surpris ni mécontent des insultes de son ancien ministre. "Qu’il vienne," répondit il froidement, "je suis prêt s’il le veut à lui tendre la gorge. Votre conduite, mon cher Flahaut," ajouta-t-il, "me touche, mais la patrie a besoin de vous : restez à l’armée, et oubliez, comme moi, le prince d’Eckmühl et ses lâches menaces". L’histoire, plus sévère, ne les oubliera point. (T.2, p.275).