« Dans la formation de la grande armée d’expédition contre l’Angleterre, je fus nommé chef d’état-major du 3ème corps, qui reçut d’abord la dénomination de camp de Bruges, et dont le commande- ment en chef fut donné au général Davoust. Celui-ci, intime ami du général Desaix, s’était distingué dans la guerre de la haute Egypte et avait hérité de la confiance et de la faveur de cet illustre général auprès de Napoléon. L’avancement rapide du général Davoust avait excité l’envie contre lui : son caractère ferme, mais inquiet et méfiant, lui fit beaucoup d’ennemis. Je l’avais connu fort jeune lorsqu’il était encore lieutenant au régiment de Champagne-Cavalerie. Mes relations intimes avec Desaix l’avaient bien disposé pour moi et m’avaient acquis son estime. Toutefois ma position était difficile. Je crus m’apercevoir qu’il craignait qu’à son début dans le commandement en chef, on n’attachât trop d’importance à mes conseils. J’eus donc à conquérir sa confiance par une sévère exactitude dans tout ce qui touchait au service, et par une conduite très réservée. Je ne tardai pas à reconnaître dans le général Davoust les qualités essentielles de l’homme de guerre et de l’homme privé, qu’il développa depuis dans le cours de sa brillante carrière. Après quelques épreuves nous nous entendîmes fort bien. Il parut également satisfait de ma manière de servir et de ma société, et il m’accorda son amitié : je l’ai toujours cultivée et conservée sans nuages ; je m’en suis honoré et j’honore sa mémoire. » (Tome troisième - Livre onzième - Pages 241 à 247).
« C’est cette position respective et cette contenance de l’armée française qui ont donné lieu à quelques militaires de penser que le maréchal Davoust aurait pu livrer bataille à lord Wellington et obtenir un grand succès. Ceux qui ont fait à un de nos plus illustres guerriers et de nos meilleurs généraux un si injuste reproche n’ont pas réfléchi que si le maréchal avait pris l’offensive, il ne pouvait se promette d’autre succès que d’obliger momentanément lord Wellington à se replier en refusant son aile droite : ce qui aurait seulement retardé de quelques jours l’occupation de la capitale, puisque les armées autrichienne et russe ne pouvaient tarder à faire leur jonction, et que, dans ce cas, outre la difficulté de la retraite, la capitale tombait nécessairement à la discrétion des vainqueurs ; et si le sort des armes dans la bataille de Grenelle nous était contraire, la ville de Paris, devenue un champ de bataille, pouvait être livrée à la fureur du soldat. S’il est vrai qu’il y eût quelque chance de succès, ce qui est plus que douteux, on doit croire que le maréchal Davoust, déterminé par de si graves considérations, fut assez généreux pour sacrifier l’intérêt de sa gloire au salut de ses concitoyens. Ceux qui, comme moi, ont bien connu le caractère du maréchal, son inébranlable fermeté et ses sentiments patriotiques, lui rendront la même justice ». (Tome troisième - Livre dix-huitième - Pages 575 à 580).