Saint-Elme

« Mémoires d’une contemporaine ou Souvenirs d’une femme sur les principaux personnages de la République, du Consulet, de l’Empire, etc. » Paris, Ladvocat, 1829, (4ème édition)

Raconté par Ida de SAINT-ELME

« Dans le cours des dangers qui commandaient chaque jour plus de prudence, le meilleur accueil qu’il me reste à mentionner fut celui que je reçus du maréchal Davoust. D’une grande rigidité de principes, d’une sécheresse et d’une brusquerie toute militaire, le prince d’Eckmühl éprouva en me voyant une émotion bien sincère, car elle l’entraîna à une affabilité inaccoutumée. Ce rival de gloire d’un illustre guerrier compatit à mon désespoir, dont je ne le laissai pas pénétrer toutes les nuances. Mais que son intérêt était vif pour son vieux compagnon d’armes ! mais que sa bonté sympathisait bien avec les voeux de mon coeur ! Le ton du maréchal, alors déjà souffrant, portait l’empreinte de cette secrète mélancolie, qui de nos propres peines se porte avec une bienveillance douloureuse sur celles des autres. Son esprit plein de sens, sans passions, déduisait avec une triste vérité toutes les vérités des circonstances. Etranger aux partis et à leurs tentatives, il me rassurait cependant davantage, il m’inspirait plus de confiance pour le salut de son glorieux rival, par le calme de sa raison et la vraisemblance de ses arguments pacifiques, que mes bouillants amis avec leurs aventureux projets. Dans une de ces entrevues avec le vertueux prince d’Eckmühl, je m’emportai dans l’expression de mes terreurs, rendues plus violentes par l’approche d’une catastrophe trop prévue, jusqu’à m’écrier : Wellington sera pour beaucoup dans le sort du maréchal ; si Ney succombe, eh bien ! je m’en vengerai sur une vie ennemie, je l’irai chercher jusqu’à Londres s’il le faut. Davoust me serra la main, en me disant : “Vous êtes une brave femme et une femme brave”. » (Tome VI).