03. Rapport du général Morand

Rapport du général Morand au maréchal Davout - Au bivouac d’Eylau - 9 février 1807

Hier, 8 février, à six heures et demie du matin, ma division arrivait au village de Peleken, lorsque je reçus l’ordre de Votre Excellence de suivre la marche de la division Friant et de déployer en colonnes sur les hauteurs en arrière du village de Serpallen.

La brigade du général Ricard était à peine formée sur trois colonnes avec l’artillerie légère dans les intervalles, que je reçus ordre de prendre poste en avant du village de Serpallen et celui d’attaquer l’ennemi qui couronnait d’une ligne considérable d’infanterie, renforcée d’une artillerie nombreuse, les hauteurs qui dominent ce village. Vous me donnâtes aussi l’ordre de me lier par ma gauche avec le 4e corps.

Le 13e régiment s’avança par la droite du village, le 17e par le centre et le 30e par la gauche. Les régiments de portèrent aussitôt en avant sous le feu le plus terrible d’artillerie qui, bientôt, réduisit les bataillons à moitié, et trois pièces d’artillerie légère furent démontées ; cependant on tint ferme. Cette perte ne put ébranler le courage des troupes et le 30e de se lier par sa gauche au 10e régiment d’infanterie légère de la division Saint-Hilaire.

Pendant ce temps, le général d’Honnières avait déployé les colonnes des 51e et 61e régiments et se tenait en réserve, d’après vos ordres, entre la division Friant et ma première brigade en arrière du village de Serpallen.

Vers midi, les bataillons étant réduits au tiers, je fis avancer à la gauche de ce village, le 61e régiment, le général d’Honnières me dit alors que vous aviez disposé du 51e. Vers une heure après midi, la ligne d’infanterie de l’ennemi, contre laquelle nous combattions depuis cinq heures, descendit des hauteurs, s’avançant sur nous à la baïonnette. Nous courûmes à sa rencontre ; cette ligne fut renversée, mise en fuite et poursuivie jusqu’à ses canons dont nous nous emparons. Dix-huit bouches à feu étaient à notre pouvoir, nous étions maîtres des hauteurs dominant la route de Königsberg, un grand nombre de prisonniers ne pouvait nous échapper, lorsque tout à coup, une colonne de dragons russes, que les accidents du terrain nous avaient cachée, tombe sur le flanc d’un bataillon du 10e d’infanterie légère qui ...(mot illisible)...en colonne avait appuyé la gauche de notre ligne, tandis que le 61e formé sur deux lignes couvrait la droite. Le bataillon du 10e se renverse sur notre ligne, les bataillons se groupent, les efforts des officiers ne peuvent parvenir à former un carré ; l’ennemi presse sur tous les points un groupe qu’il ne peut pénétrer, mais qu’il refoule une centaine de toises ; quelques escadrons de dragons arrivent qui occupent l’ennemi et donnent ainsi le temps à l’infanterie de se reformer. La division Saint-Hilaire, qui avait beaucoup souffert, ne put nous soutenir. D’après ce que m’avait dit et fait dire le général Saint-Hilaire, j’avais cependant compté sur elle dans le mouvement offensif que ma division a fait.

Cependant, l’ennemi ayant été vivement attaqué sur la route de Königsberg, nous reprîmes les hauteurs, où nous nous sommes maintenus jusqu’à la nuit, que nous y avons passée, et d’où ses colonnes ont été vivement canonnées. La division a fait des efforts prodigieux. Jamais troupe n’a déployé plus de courage, de fermeté, de valeur et d’audace. L’énorme perte qu’elle a faite en est la malheureuse preuve. Elle s’est trouvée pendant six heures sous un feu terrible d’artillerie et de mousqueterie ; l’espace qu’elle a parcouru pour arriver à l’ennemi est marqué par des légions de cadavres. Il est impossible de donner l’état des tués et des blessés ; je vous envoie la feuille d’appel ; demain, j’espère avoir des notions plus exactes sur notre perte.

Le général d’Honnières a été très grièvement blessé ; les colonels Valterre du 30e et Faure du 61e l’ont été moins dangereusement, le premier l’a été deux fois. Les chefs de bataillon Terrier et Teruhet ( ?) du 13e, Moeller du 17e, Vuillemin du 30e, le capitaine Dutoyer ( ?) commandant le 1er bataillon du 30e ont été blessés.

Je ne puis vous faire trop d’éloges des généraux Ricard et d’Honnières ; ils ont montré autant de bravoure que d’habileté et d’intelligence ; ainsi que les colonels Valterre, Lanusse, Guyardet et Faure. Mes aides de camp Morand et Parguez ( ?), les capitaines-aides Sallée et Gallardée m’ont parfaitement secondé ; le dernier a été blessé deux fois. Mon aide de camp Morand a eu un cheval tué, et Parguez a été blessé et a eu aussi un cheval blessé.

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