04. Lettres de Davout à sa femme

Les deux lettres (extraits) qui suivent sont, dans l’ouvrage de la marquise de Blocqueville, les seules qu’ai écrites son père dans les jours qui suivirent la bataille d’Eylau.

Heilsberg, ce 19 février 1807

... J’ignore, ma petite Aimée, si les lettres que je t’ai écrites depuis la bataille du 8 te sont parvenues, mais dans tous les cas tes inquiétudes auront vraisemblablement été dissipées par les relations officielles. Elles doivent l’être pour longtemps : nous prenons nos quartiers d’hiver, et cette fois l’ennemi ne viendra point nous troubler. Les deux mille hommes qu’il a laissés sur le champ de bataille et la terreur qui existe dans ses troupes sont mes garants. J’ai vu beaucoup de batailles, mais aucune aussi acharnée que celle-là.

Notre Empereur s’est beaucoup trop exposé : cette réflexion fait frémir. Que deviendrait cette belle France si nous le perdions ?

Tout ce qui t’intéresse jouit d’une parfaite santé, à commencer par moi. Je ne te parle pas de la blessure que j’ai reçue, elle est totalement guérie. D’ailleurs, c’était si peu de chose, que cela ne peut pas s’appeler blessure. ...

 

Heilsberg, ce 22 février 1807

... Notre correspondance va être de nouveau suivie, puisque nous prenons nos quartiers d’hiver.

Je t’assure que les Russes n’auront pas cette fois l’envie de venir les troubler ; la grande et sanglante bataille du 8 les a dégoûtés de l’envie de nous combattre ; je dis sanglante, car elle a fait de l’impression même sur les individus de l’armée victorieuse. Il est vrai que ces individus ne sont pas ce qu’il y a de mieux dans notre armée ; mais cela explique la grande terreur qui existe dans l’armée vaincue. Elle est telle que, obligée d’évacuer un pays qui n’offrait plus de subsistances pour les hommes et les chevaux et par conséquent de faire une retraite d’une trentaine de lieues devant une armée, objet toujours délicat devant une armée, les Russes n’ont pas osé nous suivre.

Toutes ces réflexions, ma bien bonne amie, sont peut-être trop du métier ; mais la femme d’un militaire doit d’abonner à en entendre de pareilles. Elles ont d’ailleurs pour objet de te tranquilliser.

Demain je répondrai à toutes tes lettres : je ne veux cependant point terminer celle-ci sans t’exprimer combien la manière dont tu prends ton parti sur ce que je n’avais point demandé à l’Empereur une habitation à Paris, celle où tu es étant inhabitable, m’est agréable : cela ajoute à la haute estime que je te porte.

Voilà les faits : j’ai toujours été dans l’intention de faire cette demande à l’Empereur ; j’en ai même parlé au major général à qui je dis souvent ce que je n’ose point exprimer, connaissant l’amitié qu’il me porte. Mais, ayant toujours vu l’Empereur occupé par de grands intérêts, quelque plaisir que j’eusse eu à demander une chose qui contribuerait à ton bonheur, j’ai toujours été arrêté par délicatesse et ai préféré attendre des circonstances plus favorables, c’est-à-dire des moments où l’Empereur serait moins occupé. ...