05. Le rapport du général Friant

Le général Friant au maréchal Davout - Freyburg, 17 octobre 1806

J’ai l’honneur de vous rendre compte de la part que la division à mes ordres a eue à la journée du 14, où vous et votre corps d’armée ont donné tant de preuves de valeur et d’intrépidité, en combattant l’élite de l’armée prussienne deux fois plus nombreuse que vos troupes.

D’après vos ordres, la division quitta le 14 octobre, à cinq heures du matin, les bivouacs qu’elle occupait en arrière de Naumburg. Votre corps d’armée marchant la gauche en tête, je suivis, sans intervalle, les mouvements de la 3ème division qui se dirigeait sur Kösen. Arrivé à huit heures sur le plateau à demi-lieue en avant du village de Neu-Kösen, je me formai suivant votre intention en colonne serrée par bataillon, ma gauche appuyée à la grande route, à la distance de 300 à 400 toises. On marcha dans cet ordre et on arriva à la hauteur de la droite de la division Gudin qui était déjà aux mains.

Le 111e régiment (brigade du général Grandeau) appuyait sa gauche à la 3e division et il continuait de sang-froid à sa marche sous un feu des plus meurtriers. Il commença l’action en défendant avec vigueur le village de Hassenhausen dont l’ennemi voulait s’emparer ; il s’avança à pas de course sur une batterie dont il essuya six décharges à mitraille qui, dans quelques minutes, lui mirent hors de combat 18 officiers et 250 hommes environ, ce qui causa un instant de désordre parmi les soldats, désordre qui fut bientôt réparé.

Vous donnâtes au 2e bataillon du 108e l’ordre de s’emparer de six pièces de canon : attaquer l’ennemi, le mettre en déroute et forcer la position fut l’affaire d’un moment ; le 1er bataillon fut employé à chasser les Prussiens du village de Spielberg et s’en empara.

Durant ce temps, les 48e et 33e (brigade du général Kister) se portèrent plus à droite, en laissant à leur gauche le susdit village et ceux de Zecknar et Benndorf ; en faisant faire ce mouvement, j’avais pour but d’inquiéter l’ennemi sur ce point.

Des vedettes et tirailleurs ennemis me donnant des inquiétudes sur ma droite, je détachai quatre compagnies de voltigeurs pour l’éclairer et fouiller les bois. J’en donnai le commandement au capitaine du génie Ménissier : il se porta jusqu’à la hauteur de Marienthal, chassant toujours devant lui un gros corps de cavalerie qui le crut protégé par d’autres troupes masquées dans les bois.

L’artillerie, divisée en trois batteries, la première de deux pièces de 8 servie par l’artillerie légère, la deuxième de deux pièces de 4 et la troisième de trois pièces de 8 et un obusier servies par l’artillerie à pied, a suivi tous les mouvements de l’ennemi et occupé successivement les positions qu’il était obligé d’abandonner. Ces pièces, peu nombreuses comparées à celles des Prussiens, furent dirigées avec beaucoup de sang-froid et d’intelligence.

L’ennemi ayant porté beaucoup de forces sur ma gauche, et craignant qu’il ne parvînt à l’enfoncer, je donnai l’ordre au 33e de s’avancer pour la soutenir en passant par Benndorf : à peine arrivé et déployé, l’équilibre se rétablit et l’ennemi ne put résister à sa vigoureuse attaque.

J’ordonnai ensuite au 108e (brigade du général Lochet) d’enlever à la baïonnette le village de Poppel, afin de prendre à dos l’aile gauche de l’ennemi. Le régiment du Roi qui s’y trouvait fut tué ou pris. Un drapeau, trois pièces de canon et un grand nombre de prisonniers sont le résultat de cette attaque vive et bien dirigée. Le succès avait entièrement couronné l’entreprise du 108e, et il ne lui eût rien resté à désirer, si la mort en frappant le brave colonel Higonet ne lui eût fait éprouver une perte presque irréparable.

Le 48e, qui pendant toute la matinée avait manoeuvré avec la division, fut ensuite employé à occuper la gauche de l’ennemi et à l’empêcher de nous tourner. Je détachai en tirailleurs le 1er bataillon ; le 2e le suivait en colonne serrée pour le soutenir. L’ennemi très nombreux et soutenu par plusieurs pièces d’artillerie jouant à mitraille, ne tint pas longtemps contre l’attaque de ce bataillon auquel le second ne tarda pas à se réunir. Deux pièces de canon, des prisonniers, parmi lesquels un colonel et un lieutenant-colonel, furent le résultat de cette attaque.

Les autres régiments, qui jusqu’alors avaient combattu dans les environs de Poppel et étaient parvenus à culbuter l’ennemi, marchèrent en avant en colonne serrée, en laissant Auerstaedt sur leur gauche et appuyant leur droite au village de Lissdorf. Le 33e qui formait cette droite, eut à souffrir du boulet et de la mitraille, et perdit plusieurs braves, entre autres le chef de bataillon Cartier, commandant le régiment.

Je me mis à la tête de ce régiment et marchai laissant Lissdorf à ma gauche. Je voulais couper la retraite de l’ennemi. Ce mouvement et celui du 48e l’inquiétèrent beaucoup et ne contribuèrent pas peu au succès de l’attaque du bois en arrière d’Eckartsberg par les 108e et 111e et par d’autres troupes qui enlevèrent les batteries prussiennes et firent nombre de prisonniers.

L’ennemi fut culbuté et poursuivi jusqu’au delà d’Eckartsberg. C’est ainsi que se termina cette journée mémorable dans laquelle la division donna une nouvelle preuve de bravoure, de courage et de dévouement à son auguste Empereur...