02. Prémices de campagne (décembre 1806) : combats de Czarnowo, Nasielsk, Pultusk, Golymin

Entre le moment où le 3e corps traverse la Vistule au début décembre 1806 et la bataille d’Eylau, les troupes livrent plusieurs combats qui préfigurent des difficultés de cette campagne de Pologne. Voici ces combats au travers des Bulletins de la Grande Armée.

Combat de nuit de Czarnowo- 23 décembre 1806

La division Morand passa sur-le-champ pour aller s’emparer des retranchements de l’ennemi près du village de Czarnowo [1]. Le général de brigade Marulaz la soutenait avec sa cavalerie légère. La division de dragons du général Beaumont passa immédiatement après. La canonnade s’engagea à Czarnowo. Le maréchal Davout fit passer le général Petit avec le 12e de ligne pour enlever les redoutes du pont. La nuit vint ; on dut achever toutes les opérations au clair de lune, et à deux heures du matin, l’objet que se proposait l’Empereur fut empli. Toutes les batteries du village de Czarnowo, furent enlevées ; elles du pont furent prises ; 15,000 hommes qui les défendaient furent mis en déroute, malgré leur vive résistance. Quelques prisonniers et six pièces de canon restèrent en notre pouvoir. Plusieurs généraux ennemis furent blessés. De notre côté, le général de brigade Boussart a été légèrement blessé. Nous avons eu peu de morts [2] mais près de 200 blessés [3].

Combat de Nasielsk - 25 décembre 1806

Le 24, la réserve de cavalerie et le corps du maréchal Davout se dirigèrent sur Nasielsk. [4] L’Empereur donna le commandement de l’avant-garde au général Rapp. Arrivé à une lieue de Nasielsk, on rencontra l’avant garde ennemie.

Le général Lemarois partit avec deux régiments de dragons, pour tourner un grand bois et cerner cette avant-garde. Ce mouvement fut exécuté avec promptitude. Mais l’avant-garde ennemie, voyant l’armée française ne faire aucun mouvement pour avancer, soupçonna quelque projet et ne tint pas. Cependant il se fit quelques charges, dans l’une desquelles fut pris le major Ourvarow, aide-de-camp de l’empereur de Russie. Immédiatement après, un détachement arriva sur la petite ville de Nasielsk. La canonnade devint vive. La position de l’ennemi était bonne : il était retranché par des marais et des bois. Le maréchal Kaminski commandait lui-même. Il croyait pouvoir passer la nuit dans cette position, en attendant que d’autres colonnes vinssent le joindre : vain calcul ; il en fut chassé, et mené battant plusieurs lieues. Quelques généraux russes furent blessés, plusieurs colonels faits prisonniers, et plusieurs pièces de canon prises. Le colonel Beker, du 8e. régiment de dragons, brave officier, a été blessé mortellement.

Combat de Pultusk- 26 décembre 1806

Le maréchal Lannes ne put arriver vis-à-vis Pultusk que le 26 au matin. Tout le corps de Bennigsen s’y était réuni dans la nuit. Les divisions russes qui avaient été battues à Nasielsk, poursuivies par la troisième division du corps du maréchal Davout, entrèrent dans le camp de Pultusk à deux heures après minuit. A dix heures le maréchal Lannes attaqua, ayant la division Suchet en première ligne, la division Gazan en seconde ligne, la division Gudin du troisième corps d’armée commandée par le général Daultanne, sur sa gauche [5]. Le combat devint vif. Après différents événements, l’ennemi fut culbuté. Le 17e régiment d’infanterie légère et le 34e. se couvrirent de gloire. Les généraux Vedel et Claparède ont été blessés. Le général Treillard, commandant la cavalerie légère du corps d’armée ; le général Boussard, commandant une brigade de la division de dragons Bekler ; le colonel Barthelemy, du 15e régiment de dragons ont été blessés par la mitraille. L’aide-de-camp Voisin, du maréchal Lannes ; et l’aide-de-camp Curial, du général Suchet, ont été tués l’un et l’autre avec gloire. Le maréchal Lannes a été touché d’une balle. Le 5e corps d’armée a montré dans cette circonstance ce que peuvent des braves, et l’immense supériorité de l’infanterie française sur celle des autres nations. Le maréchal Lannes, quoique malade depuis dix jours, avait voulu suivre son corps d’armée. Le 85e régiment a soutenu plusieurs charges de cavalerie ennemie avec sang-froid et succès. L’ennemi, dans la nuit, a battu en retraite et a gagné Ostrolenka.

Combat de Golymin- 26 décembre 1806

Pendant que le corps de Bennigsen était à Pultusk et y était battu, celui de Buxhoewden se réunissait à Golymin, à midi. La division Panin de ce corps qui avait été attaqué par le grand-duc de Berg, une autre division qui avait été battue à Nasielsk, arrivaient par différents chemins au camp de Golymin [6].

Le maréchal Davout qui poursuivait l’ennemi depuis Nasielsk, l’atteignit, le chargea [7] et lui enleva un bois prés du camp de Golymin. [8]

Dans le même tems, le maréchal Augereau arrivant de Golaczima, prenait l’ennemi en flanc. Le général de brigade Lapisse, avec le 16e d’infanterie légère, enlevait à la baïonnette un village qui servait de point d’appui à l’ennemi. La division Heudelet se déployait et marchait à lui. A trois heures après midi, le feu était des plus chaud. Le grand duc de Berg fit exécuter avec le plus grand succès plusieurs charges, dans lesquelles la division de dragons Klein se distingua. Cependant la nuit arrivant trop tôt, le combat continua jusqu’à onze heures du soir. L’ennemi fit sa retraite en désordre, laissant son artillerie, ses bagages, presque tous ses sacs, et beaucoup de morts. Toutes les colonnes ennemies se retirèrent sur Ostrolenka.

Le général Fenerolle, commandant une brigade de dragons, fut tué d’un boulet. L’intrépide général Rapp, aide-de-camp de l’Empereur, a été blessé d’un coup de fusil à la tête de sa division de dragons. Le colonel Sémélé, du brave 24e de ligne, a été blessé. Le maréchal Augereau a eu un cheval tué sous lui.

Cependant le maréchal Soult avec son corps d’armée était déjà à Molati, à deux lieues de Makow ; mais les horribles boues, suite des pluies et du dégel, arrêtèrent sa marche et sauvèrent l’armée russe, dont pas un seul homme n’eût échappé sans cet accident. Les destins de l’armée de Bennigsen et de celle de Buxhoewden devaient se terminer en-deça de la petite rivière d’Orcye ; mais tous les mouvements ont été contrariés par les effets du dégel, au point que l’artillerie a mis jusqu’à deux jours pour faire trois lieues. Toutefois l’armée russe a perdu 80 pièces de canon, tous ses caissons, plus de douze cents voitures de bagages et douze mille hommes tués, blessés ou faits prisonniers. Les mouvements des colonnes françaises seront un objet de vive curiosité pour les militaires, lorsqu’ils seront tracés sur la carte. On y verra à combien peu il a tenu que toute cette armée ne fût prise et anéantie en peu de jours : et cela par l’effet d’une seule faute du général russe.

Nous avons perdu huit cents hommes tués, et nous avons eu deux mille blessés. Maître d’une grande partie de l’artillerie ennemie, de toutes les positions ennemies, ayant repoussé l’ennemi à plus de 40 lieues, l’Empereur a mis son armée en quartier d’hiver.

Avant cette expédition, les officiers russes disaient qu’ils avaient cent cinquante mille hommes ; aujourd’hui ils prétendent n’en avoir eu que la moitié. Qui croire des officiers russes avant la bataille, ou des officiers russes après la bataille ?

La Perse et la Porte ont déclaré la guerre à Russie. Michelson attaque la Porte. Ces deux grands Empires, voisins de la Russie, sont tourmentés par la politique fallacieuse du cabinet de Saint-Pétersbourg, qui agit depuis dix ans chez eux comme elle a fait pendant cinquante ans en Pologne.

M. Philippe Ségur, maréchal des logis de la maison de l’Empereur, se rendant à Nasielsk, est tombé dans une embuscade de Cosaques qui s’étaient placés dans une maison du bois qui se trouve derrière Nasielsk. Il en a tué deux de sa main, mais il a été fait prisonnier. L’Empereur l’a fait réclamer, mais le général russe l’avait sur-le-champ dirigé sur Saint-Pétersbourg.

[1] carte de Czarnowo ci-dessous

[2] On notera, parmi les pertes, le chef de bataillon Demarais du 30e de ligne, tué par un boulet, et le capitaine Fournier, grenadier au 12e de ligne.

[3] Il semble en fait que les pertes furent plus importantes : on évoque 3 officiers tués et 24 blessés, 43 sous-officiers et soldats tués et 647 blessés.

[4] La division Friant rencontra les Russes à deux reprises au cours de cette journée et perdit 15 tués, dont un officier, et 149 blessés, dont 5 officiers.

[5] Le capitaine Nicolas, du 25e de ligne, fut tué au cours de cet affrontement

[6] carte de Golymin ci-dessous

[7] Il s’agit de la division Morand et des chasseurs à cheval du général Marulaz.

[8] Lors des combats de Pultusk et Golymin, les 1ère et 3ème divisions du 3e Corps perdirent 96 tués, dont 2 officiers, et 748 blessés, dont 27 officiers. Le frère du général Marulaz figure parmi les tués.


Carte de Czarnowo
Carte de Golymin