Rapp
Mémoires du général Rapp
« Les Prussiens de Hohenlohe campaient derrière les hauteurs de Jéna : il y en avait à perte de vue ; ils se prolongeaient par-delà Weimar. Napoléon les reconnut dans la soirée du 13, et fixa l’attaque au lendemain ; il expédia dans la nuit les ordres de mouvements pour les divers corps. "Quant à Davoust, il faut qu’il marche sur Apolda, adin de tomber sur les derrières de cette armée ; qu’il tienne la route qui lui conviendra, je le laisse le maître pourvu qu’il prenne part à la bataille. Si Bernadotte est à portée, il faut qu’il l’appuie. Berthier, donnez des instructions en conséquence". Il était dix heures du soir ; toutes les dispositions étaient faites, et cependant le général ennemi se flattait encore que nous ne pourrions déboucher ; mais la pioche fit justice des obstacles, on creusa le roc, on ouvrit des tranchées : l’armée s’écoula par toutes les issues. L’action commença ; de la droite à la gauche, la mêlée devint terrible. Davoust surtout se trouvait dans une position sous laquelle un homme moins tenace eût succombé. Bernadotte refusa de le soutenir ; il défendit même à deux divisions de cavalerie de réserve, qui pourtant n’étaient pas sous ses ordres, de prendre part à l’action. Il paradait autour d’Apolda pendant que vingt-six mille Français étaient aux prises avec soixante-dix mille hommes d’élite commandés par le duc de Brunswick et le roi de Prusse. Au reste, cette circonstance ne fit que rehausser la gloire de celui qu’elle aurait dû perdre. Le maréchal fit des dispositions si bien entendues, ses généraux, ses soldats déployèrent tant d’habileté et de courage, que Blücher avec ses douze mille chevaux n’eut même pas la satisfaction d’entamer une compagnie. Le roi, les gardes, toute l’armée, se précipitaient sur nos troupes sans obtenir plus de succès. Au milieu de ce déluge de feux elles conservaient toute la gaieté nationale ».