21 mai 1823
(Me Casimir Noël, notaire à Paris)
Par-devant, MMes Victoire-François-Casimir Noël et Jean-Baptiste-Louis Guérinet, notaires à Paris sous-signés : en présence de M. Sébastien-André Gallimard, commissaire-priseur du département de la Seine, demeurant à Paris, rue du Temple, 62, et de M. Jean-Gabriel-Aimable Rousse, changeur de monnaies, demeurant à Paris, rue Neuve-des-Petits-Champs, 66, témoins requis aussi soussignés ;
Fut présent :
Son Excellence Louis-Nicolas Davout, Duc d’Auerstaëdt, prince d’Eckmühl, maréchal et pair de France, grand cordon de l’ordre royal de la Légion d’honneur, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, et de différents autres ordres, etc, demeurant ordinairement en son château de Savigny-sur-Orge, canton de Longjumeau, arrondissement de Corbeil, département de Seine-et-Oise, présentement à Paris, logé en son grand hôtel d’Eckmühl, rue Saint-Dominique, n° 107, faubourg Saint-Germain, ayant été trouvé par lesdits notaires et témoins assis sur une bergère en une chambre au rez-de-chaussée dudit hôtel, éclairée par deux croisées sur le jardin de cet hôtel.
Lequel étant malade de corps, mais saint d’esprit, ainsi qu’il est apparu auxdits notaires et témoins, a dicté aux notaires en présence desdits témoins son testament ainsi qu’il suit :
Je confirme, en tant que de besoin, les avantages et donations par moi faits en faveur de madame la maréchale princesse d’Eckmühl, ma femme, tant par notre contrat de mariage, passé devant Me Edon et son confrère, notaires à Paris, le seize brumaire an 10, enregistré, que par acte reçu par Me Noël aîné et son confrère, notaires à Paris, le vingt-quatre août mil-huit-cent-vingt, aussi enregistré.
Ces avantages et donations ne sont que la réciprocité de ceux qu’elle m’a faits, j’aurais voulu les étendre encore, si c’eût été possible ; dans quelles mains plus dignes pourrais-je laisser les débris de ma fortune, si ce n’est dans celles d’une femme adorée, qui, par ses soins constants, a su les conserver, moins pour elle que pour le bonheur de ses enfants ! Elle en fut toujours exclusivement occupée avec un dévouement qui ne peut être comparé qu’à celui qu’elle a toujours eu pour moi. J’en ai reçu constamment des preuves si tendres et si touchantes dans toutes les circonstances de ma vie, et particulièrement dans l’affreuse maladie qui menace de me séparer d’elle, que mon cœur, rempli d’une profonde reconnaissance, veut ici en consigner un dernier témoignage.
Je donne et lègue à mon fils Louis par préciput et hors part :
Ma bibliothèque, telle qu’elle se composera au jour de mon décès, tant à Paris qu’à Savigny-sur-Orge et Montgobert, sauf les livres à l’usage de ma femme que je distrais en sa faveur, du présent legs.
Mes cartes gravées ou manuscrites, atlas et tous objets y ayant rapport, mes télescopes et autres instruments accessoires ;
Mes armes de guerre et de chasse généralement quelconques, mes décorations, bâtons de maréchal, uniformes militaires et costumes de pairie ;
Et mes papiers, imprimés ou manuscrits, mes rapports militaires et civils, mes manuscrits et mes correspondances politiques, tant avec le gouvernement français qu’avec tous autres et toutes personnes publiques.
Ces objets seront remis à mon fils par sa mère ; c’est à elle qu’il appartient de juger l’époque à laquelle il sera en état d’apprécier ce legs et de le recevoir.
Voulant laisser à mon gendre, M. Achille Vigier, un témoignage de mon affection paternelle et de ma confiance dans ses sentiments, j’ai cherché dans les objets qui me sont personnels l’un de ceux dont il apprécierait le plus la possession ; ma pensée s’est portée sur un de mes grands cordons de la Légion d’honneur, je le lui lègue ; en le conservant il devra se dire : on peut le mériter autre part que sur les champs de bataille, par des moyens non moins utiles à ses concitoyens.
J’ajoute à ce legs et je prie ma femme de lui remettre en mon nom l’une de mes grandes plaques de la légion d’honneur, trois statues en marbre se trouvant dans l’un des salons de mon appartement et un tableau qui m’a été donné en présent par la duchesse douairière des Deux-Ponts.
J’aurais voulu également accorder une marque de souvenir à mes deux filles ; mais que pourrais-je leur donner ? Je leur laisse tout ce qu’il y a de plus précieux au monde une excellente et tendre mère, et ma plus grande consolation est d’avoir vécu assez longtemps pour voir se développer dans leur jeune cœur toutes les éminentes qualités et les vertus dont elle fut constamment le modèle ! Puissent-elles lui ressembler en tout, c’est mon dernier vœu.
Je charge madame la maréchale de diriger et surveiller l’éducation de mon fils ; et si M. Gordon, son gouverneur actuel, qui a commencé avec tant de succès cette éducation, la termine, j’impose à mon fils l’obligation de lui payer, sur sa fortune personnelle, trois mille francs de rente viagère pendant sa vie, à compter du jour de mon décès, en reconnaissance des soins qu’il aura donnés à son éducation, dans laquelle rente sera confondu son traitement annuel, comme gouverneur de mon fils, pendant tout le temps que cette éducation lui sera confiée.
Et, dans le cas où, contre toute attente, mon fils se refuserait à l’acquit et au payement de ce legs, j’en charge ma succession envers M. Gordon.
Je prie le docteur Lerminier de recevoir l’expression de ma gratitude pour les soins éclairés et affectueux qu’il m’a prodigués pendant ma maladie ; je ne doute pas qu’ils n’eussent été couronnés d’un plein succès, s’ils eussent été moins tardifs et si je m’étais plus tôt confié à ses lumières. Je lui demande avec confiance de continuer ses soins à ma femme et à mes enfants.
Je désire que mes funérailles soient faites comme celles d’un simple particulier, que les frais qu’elles occasionneront n’excèdent pas cinq cents francs, non compris ce qui devra être donné au curé, que mon corps soit présenté à l’église Sainte-Valère, que les gens de ma maison assistent seuls à mon convoi qui ne devra être suivi que de ma voiture (1). En conséquence, je recommande spécialement que mon enterrement soit fait sans pompe, apparat ni cérémonie, sans le discours d’usage et sans le cortège que pourraient réclamer les dignités dont je suis revêtu ; je demande seulement que le bâton de maréchal que j’ai reçu du Roi soit déposé sur mon cercueil et que mon corps soit transporté au Père-Lachaise dans le caveau que j’y ai fait établir pour la sépulture de ma famille.
Je lègue aux pauvres de mon arrondissement à Paris trois mille francs à une fois payer qui seront donnés à raison de mille francs par année, dans les trois ans qui suivront mon décès ; je désire que la distribution en soit faite par madame la maréchale à ceux que sa charité et sa bienveillance auront désignés, d’après les renseignements qu’elle prendra et la liste des pauvres qu’elle fera dresser.
Je désirerais qu’il ne fût pas fait d’inventaire après mon décès ; mais, si mon désir ne pouvait s’accomplir, je veux néanmoins qu’aucune vente forcée n’ait lieu pour mon mobilier, et, s’il y avait nécessité d’en vendre une portion, je tiens à ce que l’on s’en rapporte à la désignation qui en serait faite exclusivement par ma femme.
J’éprouve ici le besoin, avant de terminer mon testament, d’exprimer toute ma reconnaissance aux personnes qui m’ont témoigné tant d’amitié et une si tendre sollicitude dans ma longue et cruelle maladie ; je voudrais pouvoir les désigner toutes, mais je me bornerai à faire consigner ici les noms de messieurs les maréchaux : Jourdan, le duc de Dalmatie, le duc de Trévise, le duc d’Albuféra, Gouvion-Saint-Cyr et le duc de Tarente ; les généraux : le comte de Beaumont, La Ville, Dumas, Belliard, et de messieurs les amiraux Verhuel, Truguet, le comte de Montesquiou.
Telles sont mes dernières dispositions auxquelles seules je m’arrête.
Le présent testament a été ainsi dicté par le testateur aux notaires soussignés, écrit par Me Noël, l’un deux, en présence de son confrère, tel qu’il a été dicté, lu ensuite par ledit Me Noël, en présence de son confrère, au testateur qui a dit bien le comprendre et y persévérer ; le tout en présence desdits témoins.
Fait et passé à Paris en l’hôtel et dans le lieu susdésignés l’an mil-hui-cent-vingt-trois, le vingt-un mai sur les trois heures et demie de l’après-midi, et a le testateur signé avec les notaires et lesdits témoins, après lecture faite du tout, la minute des présentes demeurée en la possession dudit Me Casimir Noël, l’un desdits notaires.
En marge est écrit :
Enregistré à Paris, le cinq juin Mil-huit cent-vingt-trois, f°121 ; Ke C.3 et suivantes. Reçu cinq francs et cinquante centimes pour subvention.
Signé : LAFORCADE,
(1) La marquise de Blocqueville apporte le commentaire suivant : Le vœu du maréchal prince d’Eckmühl ne pouvait être accompli ; beaucoup de ses anciens compagnons d’armes voulurent le suivre jusqu’à sa dernière demeure. Redoutant une manifestation des invalides, le gouverneur les avait consignés dès la veille et avait fait fermer les portes de l’hôtel. Une soixantaine d’anciens soldats du corps d’armée du maréchal Davout, avant le jour, parvinrent cependant à escalader les grilles ou à traverser les fossés et se joignirent au convoi. Expulsés dès le lendemain de la maison royale des Invalides, par ordre supérieur, ces braves cœurs se trouvaient sans ressources ; la princesse d’Eckmühl, obéissant à un noble mouvement et non point à l’étiquette, écrivit si chaleureusement pour demander leur grâce qu’on n’osa pas la refuser. Ces pauvres soldats mutilés n’avaient commis d’autre faute que de s’être trop souvenus : sans bruit, sans éclat, ils avaient accompagné en pleurant la dépouille mortelle de leur chef vénéré. Hélas ! plusieurs parmi ceux qui avaient sous l’Empire humblement réclamé l’honneur d’une lointaine parenté avec le maréchal Davout, ne suivirent point ce noble exemple ! Les flatteurs du pouvoir nouveau, par leurs fonctions obligés de paraître à l’église, se dispersèrent aussitôt, et le général Foy en jetant un coup d’œil d’aigle sur les rares dignitaires venus jusqu’au cimetière du Père-Lachaise, d’une voix vibrante et de façon a être entendu de tous, lança ces paroles dédaigneuses et vengeresses : « Nous sommes ici comme sur un champ de bataille, ou chacun enterre ses morts ». Ma mère m’a souvent dit le regret que l’illustre général lui avait témoigné de n’avoir pu parler à la place de M. Le maréchal Jourdan, dont il trouvait l’oraison funèbre bonne sans doute, mais beaucoup trop incomplète.