Chapitre IX pages 331 à 333
Nous retrouvons dans nos papiers de famille des notes du général Foy (le général Foy est le grand-père de Mme Ternaud-Compans) écrites au moment de la mort du maréchal Davout survenue le 1er juin 1823. Ces notes sont inédites et il nous a paru intéressant de rapprocher le jugement qu’il porte sur le maréchal des propos un peu vifs échappés à la plume de Madame Compans, faisant abstraction des griefs personnels qu’elle invoque, aurait ratifié ces flatteuses appréciations.
1er juin 1823
... Après le dîner arrive le général Mathieu Dumas qui vient d’assister aux derniers moments du maréchal Davout. Le maréchal est mort avec un calme et une force dignes de sa vie. Dès longtemps, il jugeait sa mort prochaine. Il a dit ces jours derniers à M. Dumas : « Ma mémoire sera bien calomniée. » Effectivement, Davout a eu beaucoup d’ennemis. Il valait mieux qu’il ne paraissait. Il était vigoureux, dévoué, désintéressé et susceptible d’enthousiasme, ayant avec cela de la justesse d’esprit et de bons mouvements. Je crois que sa vie jusqu’à la chute de 1814 est très justifiable et qu’elle est belle historiquement. Sa conduite après Waterloo est du moins très louche. Davout était un homme excellent et essentiel dans son intérieur, au moins pendant les dernières années de sa vie. Il eut le cœur tout français.
4 juin 1823
On a enterré le maréchal Davout. Avant d’aller à la cérémonie j’ai lu dans Victoires et conquêtes, la relation de la bataille d’Iéna qui serait mieux nommée la bataille d’Auerstædt. C’est Davout qui l’a gagnée, c’est Davout qui après Napoléon a eu le plus de part à ce renversement en un jour de la monarchie prussienne. Je dis après Napoléon, peut-être faudrait-il dire autant que Napoléon. Davout fut le plus ferme et le plus valide de lieutenants de l’Empereur, celui qui exécutait le mieux, avec le plus de probité et de dévouement, celui qui donnait tête baissée dans le danger et dans ce qu’il croyait le devoir, celui que n’arrêta jamais aucune intrigue, aucune arrière-pensée. Il n’y avait que lui parmi les lieutenants de l’Empereur qui eût fait sa marche de Ratisbonne sur Abenberg. Il était opiniâtre plus que personne, du sens, de la droiture, de la rondeur, mais un entraînement lourd qui n’était pas raisonné. Depuis la Restauration il s’était mis en tête que Bernadotte trahissait l’Empereur dès Iéna et Berthier dès la campagne d’Autriche de 1809. L’enterrement a été solennel ; mais le cortège beaucoup moins nombreux qu’on eût dû le croire. Cela vient de la saison et aussi de ce que Davout avait peu d’amis. Il manquait plus de cent généraux qui sont à Paris ; presque pas de civils, pas de pairs, pas un seul homme de l’ancien régime. C’est toujours comme à la bataille, chaque armée enterre ses morts. Quatre maréchaux. Marmont et Victor n’y étaient pas ; Marmont que j’ai vu si intime, si affectueux avec Davout en l’an IX en Italie. Ils étaient alors unis par une passion commune, leur passion pour Bonaparte. Lauriston y était et Suchet y portait un cordon bleu. Le corbillard était orné de drapeaux blancs ! Oh ! qui l’eût dit à Iéna ! On a dit la messe dans la petite église de Saint-Valère. J’avais près de moi Salvandy bavardant sans cesse de lieux communs sur l’Espagne. Je n’aime pas les bavardages dans les cérémonies religieuses, à plus forte raison à côté d’un illustre cercueil. J’avais besoin de me recueillir. Le cortège qui a accompagné le corps au cimetière n’était pas très considérable. Lamarque m’a conduit dans sa voiture. On a déposé le maréchal dans le tombeau où repose déjà sa fille, tout près de l’obélisque de Masséna. Jourdan a prononcé un discours simple sur la tombe encore ouverte. Il fallait voir avec quelle attention les gens du peuple écoutaient ; on voyait bien que c’était un des nôtres. Après le discours plusieurs invalides ont crié : « Honneur au prince d’Eckmühl ». Les invalides qui avaient servi autrefois dans le 6ème corps ont accompagné leur général jusqu’à sa dernière demeure. Lamarque m’a demandé en entrant dans le cimetière du Père-Lachaise si j’avais là quelqu’un qui me fût cher. Oh ! non pas encore.