Davout, après sa mort

Par Laurent SAUERBACH


Dans les années qui suivent sa mort, en 1823, la mémoire collective oublie assez vite le maréchal Davout. Avec la seconde Restauration, ce sont deux France qui s’opposent et le prince d’Eckmühl n’a véritablement sa place ni dans l’une, ni dans l’autre.

Le Mémorial de Sainte-Hélène qui construit la légende napoléonienne occulte presque totalement le maréchal Davout. Il n’est pratiquement pas mentionné dans l’ouvrage de Las Cases, au contraire des autres maréchaux qui, il est vrai, n’en sortent pas toujours grandis. Il n’empêche que ce silence ne plaide pas en faveur du maréchal auprès des Bonapartistes. De nombreux nostalgiques de Napoléon reprochent au ministre de la Guerre des Cent-Jours d’avoir, avec la complicité de Fouché, trahi l’Empereur au profit des Bourbons. Il est inutile de préciser que les milieux royalistes vouent pour leur part une haine toujours très tenace au bourreau de Hambourg, sicaire de l’usurpateur.

Pendant des années, ce sont donc plutôt des publications hostiles au maréchal qui circulent : bonapartistes comme Fleury de Chaboulon (1819), ou royalistes comme Vaulabelle (1844). Certes Henri Beyle a bien reconnu, dès 1837, que le maréchal Davout était un « grand homme auquel on n’a pas encore rendu justice » mais le manuscrit de Stendhal (Mémoires sur Napoléon) mettra encore des décennies avant d’être publié.

Il est vrai que le Maréchal Davout n’a rien pour susciter les passions. Chauve et portant besicles, il ne présente pas, malgré sa grande taille, un physique de héros romantique. On sait qu’il n’attachait pas une grande importance à son apparence et au « qu’en dira t-on  ». En outre, à l’inverse d’un Desaix, d’un Lannes, d’un Ney ou d’un Murat, qui ont connu une fin tragique, Davout est mort dans son lit. Il est donc difficile au romantisme naissant de trouver inspiration en ce soldat austère et bourru.

La reconnaissance vient de l’Yonne

C’est dans son département d’origine, l’Yonne, que la reconnaissance des mérites de Davout va peu à peu se développer. Il y a d’abord, en 1844, un discours élogieux de M. Dupin, député de l’Yonne, à l’occasion de l’inauguration de plusieurs portraits, dont celui de Davout, dans une grande salle de l’hôtel de ville d’Avallon. Il y a surtout, en 1863 à Auxerre, le prix Crochot, remis par la Société des sciences de l’Yonne, qui est attribué à Charles Joly pour son "Eloge historique du maréchal Davout". Le document primé est édité l’année suivante et constitue la première biographie sur cet illustre personnage, 40 ans après sa mort. A cette époque, bien d’autres maréchaux ont déjà eu droit à une, voire plusieurs biographies : Ney (Maizeau dès 1816, Rouval en 1833, Nollet-Fabert en 1852, Verronnais en 1853), Bernadotte (d’Héricourt en 1844, Sarrans en 1845), Bessières (Miramont en 1845), Brune (Bourgoin en 1840), Gouvion Saint-Cyr (Nollet-Fabert en 1853, Gay de Vernon en 1856), Lannes (Perin en 1810), Masséna (d’Argeavel en 1817), Moncey (Ambert en 1842, de Chénier en 1848), etc.

Deux ans plus tard, en 1866, paraît enfin une véritable étude sur le Maréchal Davout. Gabriel de Chénier publie deux importants volumes sur la correspondance du prince d’Eckmühl mais l’ouvrage tourne rapidement au panégyrique (« Ce n’est plus un homme, c’est un dieu d’Homère ») et suscite de vives critiques (Revue des Questions historiques, janvier 1867).

La Société des sciences de l’Yonne est encore à l’origine de l’édification, le 20 août 1866 d’une statue du maréchal Davout, à l’extrémité de l’esplanade du Temple à Auxerre.

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Inauguration de la statue du maréchal Davout à Auxerre

De nombreuses personnalités assistent à l’inauguration de cette statue le 28 juillet 1867.

Au même moment, l’ambiance est toute autre à Paris lorsque, à l’occasion de l’exposition universelle de 1867, le roi Guillaume de Prusse visite la salle des maréchaux au Palais des Tuileries. Il passe devant les différents portraits et s’arrête devant celui de Davout : « Et celui-ci ? ». On lui répond que c’est Davout, le prince d’Eckmühl. Et le roi ajoute « et duc d’Auerstaedt ! La Prusse ne l’a pas oublié ». La guerre franco-prussienne éclate moins de trois ans après. Elle est brève. Les armées françaises sont balayées. L’Alsace et la Lorraine sont perdues.

En 1871, sur les conseils de l’historien et député Edgar Quinet, la marquise de Blocqueville, fille du maréchal Davout, entreprend à son tour de publier toute la correspondance de son père qu’elle a pu trouver. La présentation est très partiale et tourne, comme l’ouvrage de Gabriel de Chénier, à l’hagiographie mais, parce qu’elle est constituée de documents bruts, l’intérêt historique de cette publication est incontestable. Quatre volumes sont publiés de 1879 à 1880. Un cinquième volume, correspondante inédite, paraîtra en 1887.

A nouveau Davout contre la Prusse

Dès lors, d’autres biographies sur le maréchal Davout apparaissent. Sous le titre « Le maréchal Davout, son caractère, son génie » Emile Montégut publie en 1882 un ouvrage qui reprend ses longs articles parus dans la Revue des deux Mondes en 1879 et 1880 (ce livre sera réédité en 1895).

Puis, Charles de Mazade publie, en 1885, un recueil en quatre volumes de la correspondance militaire du prince d’Eckmühl. L’auteur dresse, dans sa longue et intéressante introduction, un portrait particulièrement subtil de son personnage : « Dans cette élite guerrière d’un ordre nouveau, Davout - celui qui a été le maréchal Davout, duc d’Auerstaedt, prince d’Eckmühl - est un des premiers par le caractère comme par les services. Il a son rôle, sa vive et forte originalité, entre tous ces soldats d’autrefois, aux figures si diverses. Celui-là n’a rien d’un personnage de roman ou de légende. C’est un vrai personnage de l’histoire, sévère, ponctuel au devoir, allant droit son chemin, sobre de paroles, toujours prêt à l’action, mêlé pendant vingt ans à des évènements qui ont l’Europe pour théâtre, qui se déroulent à travers les coups de foudre de la guerre. Il appartient à son temps, et c’est lui-même qui, par ses lettres militaires, par sa correspondance incessante avec l’Empereur, peut le mieux raconter la part qu’il a eue dans le grand drame du commencement du siècle. C’est le soldat qui se montre pour ainsi dire jour par jour dans cette série de mémorables campagnes où il n’a cessé de grandir avec les hommes de sa génération ». Un discours qui rappelle qu’Auerstaedt n’appartient pas à la légende mais à l’Histoire de France, que Davout n’était pas un héros de roman mais un soldat français. Et, en cette période de fort ressentiment contre la Prusse, chacun se souvient alors que la dernière grande victoire de la France contre les Prussiens fut remportée, à un contre trois, par le Maréchal Davout.

Dès lors, les biographies à la gloire du vainqueur d’Auerstaedt se succèdent : Léon Hennet en 1885, Marcel Poullin en 1886, Paul Bondois en 1887.

Le 15 mai 1890, lors de la séance du Reichstag, le maréchal de Moltke, qui sollicitait des crédits pour augmenter les effectifs de l’armée, en profite pour remettre en cause le maréchal Davout : « L’ennemi, au cœur du pays, ne ferait aucune différence entre la Banque de l’Empire et la bourse des particuliers. N’avons-nous pas vu, en 1813, lorsqu’il était déjà en retraite, comme à Hambourg qui était alors une ville française, n’avons-nous pas vu un maréchal français mettre, pour prendre congé, la Banque de Hambourg dans sa poche ? ». Cette affaire a, en France, un certain retentissement, d’autant plus que le général Davout, 3ème duc d’Auerstaedt, occupe alors un poste important dans l’armée française. Bien qu’âgée de 80 ans, la marquise de Blocqueville fait alors rééditer le Mémoire au Roi rédigé par le maréchal Davout en 1814

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Le Mémoire au Roi de 1814 réédité en 1890

et en adresse un exemplaire au maréchal prussien en s’indignant des accusations portées contre son père. De Moltke ayant concédé dans sa réponse que « le général français, en cette occasion, n’a pu agir que sur un ordre du gouvernement auquel il fallait obéir et que, si néanmoins l’expression dont je me suis servi a pu être interprétée comme si le maréchal Davout eut agi dans son intérêt personnel, je regrette de l’avoir mal choisie », la marquise de Blocqueville s’en estime satisfaite et rend publique cette réponse prussienne. Cette histoire est en tous cas prétexte à un nouveau livre qui parait aussitôt : «  Davout et de Moltke » de Jules Arnaud.

D’autres publications vont suivre jusqu’à la déclaration de guerre de 1914. Le neveu du maréchal, le général Davout, 3ème duc d’Auerstaedt, publie un recueil des « Opérations du 3ème Corps, 1806-1807 » en 1896, puis c’est l’arrière petit-fils du maréchal, le comte Vigier, qui publie à son tour une biographie de son aïeul en deux volumes en 1898. Le souvenir du Maréchal Davout est vraiment utilisé à des fins mobilisatrices : « Le maréchal Davout - Etude de son caractère militaire » (commandant Vachée, 1907), « Les grands hommes de guerre : Davout » (Raymond Peyronnet, 1914. Il est vrai que, de l’autre côté du Rhin, Davout fait également couler de l’encre (Paul Holzhausen en 1892, Carl Henke en 1911). Puis, la première Guerre Mondiale éclate ; Verdun occulte Auerstaedt ; et en 1918, Davout retourne aux oubliettes.

Oublié pendant 62 ans puis réveillé trois fois en 1976

A part un fascicule de Jacques-André Janvier sur « Le maréchal Davout et sa famille à Savigny-sur-Orge » édité en 1951 (et réédité en 2006 par la mairie de Savigny-sur-Orge), il faut attendre 1976 pour que, curieusement, trois biographies paraissent la même année. Il y a d’abord la première, et excellente, biographie de langue anglaise sur le maréchal Davout que publie l’universitaire américain John G. Gallaher (« The iron marshal »). Il y a ensuite l’ouvrage du Dr François-Guy Hourtoulle « Davout le Terrible », et enfin une étude réalisée par un militaire suisse, Daniel Reichel, sur « Davout et l’art de la guerre ». Malheureusement, la mort de l’auteur empêchera la réalisation du second volume de cette biographie qui s’arrête au lendemain de la bataille d’Auerstaedt.

Au début du XXIème siècle, les commémorations du bicentenaire du 1er Empire réactivent la publication d’ouvrages sur l’histoire napoléonienne. Davout y a sa part avec une biographie signée Frédéric Hulot en 2003, le monument (828 pages) de Pierre Charrier en 2005 et même une bande dessinée en 2006.

Au final, même s’il n’a pas rédigé de mémoires (sauf son Mémoire au Roi), Louis Nicolas Davout bénéficie d’une biographie assez dense, quoique de valeur très inégale. On distinguera les ouvrages familiaux versés vers l’hagiographie, les ouvrages de propagande patriotique d’avant 1914, les ouvrages commerciaux qui ont toutefois l’avantage d’être accessibles aux lecteurs profanes et les études en profondeur d’un sujet, le maréchal Davout, qui méritait bien qu’on y consacrât du temps.