« Les grandes manoeuvres qui se poursuivent dans l’Est ont mis au premier plan un général depuis longtemps apprécié, dans le monde militaire, par sa vive intelligence et sa science profonde de toutes les choses de la guerre, mais peu connu du grand public.
Le glorieux nom qu’il porte est cependant populaire à juste titre, le maréchal Davout, le vainqueur d’Auerstaedt, ayant laissé une page héroïque dans notre histoire. mais son petit-neveu, le général Davout, a jusqu’ici peu fait parler de lui. Qu’on ne s’y trompe pas cependant, le général duc d’Auerstaedt n’a pas seulement hérité d’un grand nom, il continue les traditions militaires de la famille et l’on peut être certain qu’avec lui « bon sang ne saurait mentir ».
Les manoeuvres qui vont prendre fin ont permis à ce modeste, à ce travailleur silencieux de faire preuve au grand jour des plus sérieuses qualités ; et le Petit Journal est heureux de saluer aujourd’hui le brillant soldat qui, en cas de mobilisation, serait appelé au commandement en chef d’une des grandes armées que l’on formera dès le début. Nous ne pouvions mieux continuer la série de nos portraits militaires que par celui du rude adversaire du général de Galliffet dans ces pacifiques manoeuvres qui passionnent la France entière.
Le général Davout est né le 9 août 1829 à Escolives (Yonne). Il descend d’une vieille famille de l’ancienne noblesse de Bourgogne. Le père du prince d’Eckmühl appartenait lui-même au métier des armes ; sa mère était de noblesse de robe ; le grand-oncle du général Davout, maréchal à trente-quatre ans, ayant épousé la soeur du général Leclerc, marié lui-même, on le sait, avec Pauline Bonaparte, le commandant de l’armée de l’Est est donc en quelques sortes l’allié de la famille Bonaparte.
Sa carrière militaire, on va le voir, est des plus brillantes, et si son avancement a été moins rapide que celui du maréchal, c’est que les temps ont changé, car il possède comme ce dernier, à un haut degré, toutes les qualités qui font le général, le grand chef.
D’une carrure puissante, de taille moyenne, le visage orné d’une forte moustache et d’une barbiche poivre et sel, tout, dans la mâle physionomie du général davout, respire une énergie froide, une volonté indomptable. Le premier abord est peut-être un peu dur ; l’accueil, d’une exquise politesse, est fier et tient à distance ; bref on éprouve une sorte de gêne, bien vite dissipée, heureusement, par les manières les plus courtoises et par une grande affabilité.
Le général appartient à l’arme de l’infanterie, et l’on peut dire qu’il a voué un culte passionné à la reine des batailles. Elève du Prytanée militaire de La Flèche et de Saint-Cyr, il débute comme sous-lieutenant au 72ème de ligne. Promu trois ans plus tard lieutenant au choix, il s’embarque peu de temps après pour l’Afrique, brûlant du désir de s’y distinguer. L’occasion ne se fait pas longtemps attendre et il enlève les épaulettes de capitaine dans une razzia exécutée avec un entrain extraordinaire.
La guerre d’Italie offre bientôt un champ plus sérieux à son ambition et, la veille de Magenta, nous le trouvons à Robecchetto, à la tête d’une compagnie de turcos, tenant vaillamment tête à l’ennemi qui menace les batteries du général Auger. Puis, dès que les secours arrivent, il prend avec sa poignée de braves une vigoureuse offensive et se jette tête baissée, baïonnette au canon, sur les Autrichiens qui, bousculés par cette furia irrésistible, abandonnent en désordre leurs positions laissant un canon entre les mains de ces diables déchaînés. Le jeune capitaine est nommé chef de bataillon en récompense de ce fait d’armes. Il n’avait pas trente ans !
Des tirailleurs, le commandant Davout passe au 13ème bataillon de chasseurs ; enfin, la guerre de 1870 le trouva à la tête du 95ème de ligne, de la brigade Clinchant (armée du Rhin). A la sanglante et glorieuse bataille de Saint-Privat, le 95ème joua un rôle des plus importants. Condui par son intrépide colonel, il réussit, après de sanglants efforts, à occuper la crête en arrière de la ferme de Chantrenne et résiste avec un courage au-dessus de tout éloge aux assauts furieux et trois fois répétés des régiments prussiens du général Blumenthal.
Le 31 août, le colonel Davout enlève le village de Noisseville, sous les yeux de Changarnier et du maréchal Leboeuf, puis, se portant en avant, il culbute encore une fois les Allemands qui se portaient sur Servigny.
Sa brillante conduite sous Metz, en un mot, suffirait à la gloire d’un soldat. Hélas ! tous nos régiments, tous nos officiers ont rivalisé de bravoure et d’audace dans ces combats fameux, mais le sang versé a été inutile, les efforts ont été vains.
Le 24 juin 1871, Davout est nommé général de brigade et en 1877 il est placé à la tête de cette superbe 13ème division que commande aujourd’hui le général Giovanninelli et que l’on a tant admirée aux manoeuvres.
Bientôt le général Gresley, ministre de la guerre, l’appelle aux fonctions de chef d’état-major général ; enfin, en 1880, il est placé à la tête du 10ème corps d’armée à Rennes, qu’il quitte quelques années plus tard pour aller prendre le commandement du 19ème corps à Alger, en remplacement du général Saussier, nommé gouverneur militaire de Paris.
Appelé à tour au gouvernement militaire de Lyon qu’il passe ensuite au général baron Bergé, le général Davout, grand-croix de la Légion d’honneur, siège aujourd’hui au conseil supérieur de la guerre et est désigné, comme nous l’avons dit, pour commander une armée en cas de guerre.
Le gouvernement ne pouvait certes faire un meilleur choix. Tacticien habile, aimant passionnément l’armée et son pays, nul doute que le général Davout n’inscrive, le cas échéant, de nouvelles victoires sur notre drapeau.
Un trait, pour finir, qui peint admirablement le soldat amoureux de la gloire des armées.
Passant un jour l’inspection générale du 133ème de ligne à Belley, alors qu’il commandait la 13ème division, le général fit défiler devant lui, un à un, tous les sous-officiers du régiment, leur posant une foule de questions. A cette époque les rengagements étaient beaucoup moins fréquents qu’aujourd’hui, et les généraux comme les colonels faisaient les plus louables efforts pour retenir ces braves serviteurs sous les drapeaux. Bref, le général Davout demandait à tous ceux « de la classe » s’ils avaient l’intention de rengager. Sur la négative de l’un d’eux :
Qu’allez vous faire une fois rentré chez vous ? lui dit brusquement le général. Sans doute vous allez, vous aussi, vendre du calicot. Allons, voyons, mon ami, croyez vous qu’il n’est pas plus noble de vous faire casser la tête avec les braves gens placés sous vos ordres que de perdre votre temps à mesurer des étoffes ! ...
Tel est le soldat, qui n’aime, en fait d’étoffes, que la soie et les glorieuses couleurs du drapeau tricolore. La France peut le lui confier hardiment ; elle ne saurait le mettre en meilleures et plus nobles mains. »
(Le Petit Journal - supplément illustré - 19 septembre 1891)
Il nous a semblé intéressant d’ajouter à cet article le témoignage d’Ernest VARAIGNE (Mémoires d’un vieux chasseur) qui fut un bon camarade de Léopold DAVOUT :
« Au commencement de l’année 1852, l’Etat-Major quittait Bourg et rejoignait le Bataillon actif à Lyon, où je me rendis pour y reprendre les fonctions d’Officier Payeur. C’est alors que je fis la connaissance d’un Officier, qui a fourni une carrière des plus brillantes : Léopold Davoust sous-Lieutenant au 72ème d’Infanterie, intelligent et très sérieux, tenait à être au courant de tous les détails du métier. Il venait souvent passer la soirée dans ma chambre et nous passions une heure à causer comptabilité ; puis un troisième camarade venant nous retrouver, on faisait quelques parties de piquet ou d’écarté avant de se séparer.
L’ayant quitté en 1853, lorsque le 39ème partit pour Nîmes, je l’ai revu à Paris en 1856 ; je rentrais de Crimée avec les épaulettes de Capitaine, il était encore Lieutenant, détaché aux bureaux des affaires arabes en Algérie ; il avait été mandé à Paris pour donner des renseignements au sujet de la ténébreuse affaire Doineau. Trois ans après, en 1859, il faisait la campagne d’Italie comme Capitaine de Chasseurs à pied ; pendant un engagement, détaché de son Bataillon avec la Compagnie qu’il commandait, il s’empara d’un canon autrichien que les servants après la défaite, cherchaient à sauver en se dérobant au milieu des hautes moissons ; il ne rentra que le lendemain à son Bataillon qu’il devait rejoindre le soir.
Son Commandant lui infligea des arrêts ; le Général Auger de l’Artillerie, à l’instigation duquel il s’était mis à la poursuite de la pièce capturée, fit lever les arrêts et Davoust fut nommé Chef de Bataillon, ayant à peine trois ans de grade de Capitaine. C’était un avancement magnifique ! Parvenu au grades les plus élevés, il est décédé il y a quelques années, Général de Division et Grand Chancelier de la Légion d’Honneur ; il avait occupé pendant plusieurs années le poste éminent de Gouverneur de Lyon. En outre des circonstances heureuses qui l’ont servi, et de son mérite personnel, son origine a pu aider à son avancement : petit neveu du Maréchal Davoust, Duc D’Auerstaedt, Duc d’Eckmühl(sic), qui n’avait pas laissé de descendants directs, il avait hérité du titre de Duc d’Auerstaedt qu’on l’avait autorisé à porter ; on lui avait promis l’autorisation d’y joindre celui de Duc d’Eckmühl ; lorsqu’il serait arrivé au grade de Général de Division ; la chute de l’Empire est venue s’opposer à la réalisation de cette promesse. j’ai conservé un bon souvenir de cet excellent camarade, qui aurait été heureux de me rendre service, si l’occasion s’en était présentée.
J’ai connu son frère Ferdinand, soldat au 39ème, où il préparait ses examens pour St Cyr, sorti de l’Ecole en 1849 ou 1850, il était Sous-Lieutenant au 11ème Régiment d’Infanterie Légère qui a eu un Bataillon décimé à la rupture du pont suspendu d’Angers qu’il traversait, en se rendant en Algérie. Ferdinand Davoust a été enlevé peu de temps après par une fièvre pernicieuse en Afrique. »
En effet, placé dans le cadre des réserves en 1894, le général Davout fut nommé Grand chancelier de la Légion d’honneur l’année suivante en remplacement du général Février le 5 décembre 1895. Il démissionna de l’Ordre en 1901 et décèda trois ans plus tard, le 9 février 1904. Il avait épousé Jeanne-Alice de Voize le 16 juin 1868, dont il eut un fils, Louis 4ème duc d’Auerstaedt, et trois filles : Napoléonie, Mathilde et Marguerite.