04. Interventions à la Chambre des pairs

Le maréchal prince d’Eckmühl a prêté serment lors de la séance du 13 mars 1919 : "Je jure d’être fidèle au Roi, d’obéir à la Charte constitutionnelle et aux lois du royaume, et de me conduire en tout comme il appartient à un bon et loyal pair de France". Ci-dessous, ses principales interventions.

Chambre des pairs - Séance du 15 mai 1819

Sur le projet de loi relatif aux délits de la presse

M. le maréchal prince d’Eckmühl Messieurs, Je m’oppose à tous les amendements ; je serai bref dans l’exposition de mes motifs. Un des honorables pairs, qui a appuyé un amendement, a cherché à s’étourdir, si je puis me servir de cette expression, sur ses conséquences, en s’appuyant sur cette maxime : Fais ce que dois, advienne ce que peut. Mais, Messieurs, dans cette circonstance, l’advient qui peut n’est pas douteux, c’est la résurrection de cette injuste loi de novembre 1815, dont vous avez tous demandé le rapport avec une telle volonté, que vous avez eu peine à consentir à un ajournement, malgré la déclaration que le gouvernement s’occupait de cet objet.

J’ai dit injuste. En effet, Messieurs, entre autres dispositions qui peuvent lui mériter ce reproche bien modéré, on y remarque que dans la même ville, dans le même jour, un habitant et un militaire pouvaient se rendre coupables d’un délit prévu par cette loi : l’habitant n’était pas enlevé à ses juges naturels ; le militaire, au contraire, était livré à un tribunal d’exception, et le jugement était sans appel. En outre, pour le même délit, la peine infligée par cette loi au militaire et au citoyen n’est pas égale.

Et qu’avaient fait les militaires pour mériter une telle animadversion ? Rien ... Rien, je m’explique mal : peu de mois auparavant, ils avaient mérité l’estime, je dirai plus, la reconnaissance publique. En effet, Messieurs, ils avaient sauvé notre patrie d’une guerre civile ; ils avaient quitté ces signes sous lesquels ils avaient fait des prodiges pendant plus de vingt-cinq ans ; ils les avaient quittés avec résignation et dévouement ; ils avaient juré, avec bonne foi, fidélité au Roi et à sa dynastie ; et les humiliations, les outrages dont ils ont été abreuvés pendant plus d’un an, ne les ont pas fait changer ce sentiment. Ils savaient que les auteurs de ces outrages allaient contre les intentions du monarque auquel nous devons la Charte, et qui chaque jour consolide cet édifice de nos libertés. Ces militaires ont arboré avec bonne foi le drapeau blanc, ce drapeau royal qui désormais sera l’unique drapeau français ! Ce sera sous ce drapeau qu’ils renouvelleront ces prodiges qui leur ont valu l’estime de l’univers, si le service du Roi et de la patrie leur faisait un appel !

Ne serait-il pas injuste, Messieurs, d’exposer ces militaires à être de nouveau sous cette loi d’exception ? C’est ce qui arriverait si, en adoptant un amendement, vous compromettiez par là la loi soumise à votre délibération. Je regarde comme inutile, et je croirais abuser de vos moments, d’entrer dans les détails pour établir cette preuve. Par ces considérations, je m’oppose aux amendements, et je vote l’adoption de la loi.

Chambre des pairs - Séance du 18 janvier 1820

Sur le droit de pétition

M. le maréchal prince d’Eckmühl Messieurs, je crois en mon devoir d’expliquer la pensée qui a dicté la proposition que j’ai improvisée dans la dernière séance.

Je n’ai voulu, ni seconder l’élan de M. le comte de Lally-Tollendal sur le rejet de la pétition du sieur Vincent, ni partager l’opinion de M. le marquis de Saint-Roman concernant le droit de pétition.

Je voyais la Chambre à la veille d’être entraînée par un de ces mouvements plus honorables dans leur principe que calculés dans leurs effets : j’ai cédé à l’espérance de faire prévaloir un moyen qui, s’il n’était pas sans inconvénient, me semblait au moins propre à nous garantir du reproche d’avoir envahi une sorte d’action judiciaire et pénale, que, ni les lois, ni nos règlements, ne nous attribuent. Imprimer à des pétitions un caractère de flétrissure et verser par là l’opprobre sur ceux qui les auraient présentées, sans en avoir entendu les auteurs, sans même savoir qui ils sont ! ... c’était un genre de danger d’innovation qui m’avait vivement frappé, et que j’ai cherché à prévenir.

Mon but n’a pas été atteint, en ce que la proposition que je destinais à remplacer les deux qui l’avaient précédée y a été jointe subitement ; et, au lieu de les modifier, elle a paru y donner une sorte d’adhésion. mes intentions ont été, par là, dépassées.

Mon véritable vœu, le seul que j’aie émis, a été que, plutôt que de suivre la marche qui venait d’être indiquée à cette tribune, notre commission fût dispensée de nous lire des pétitions dont l’objet serait de provoquer le rapport de l’article 4 de la loi du 16 janvier 1816. J’indiquerai rapidement quels ont été mes motifs.

La Charte ne nous accorde pas l’initiative des lois, ni par conséquent l’initiative du rapport des lois existantes ; toute demande de cette nature ne peut être que soumise, par la Chambre, au Roi, sous la forme de proposition.

Des discussions antérieures ont déjà prouvé que personne, parmi nous, ne croyait à la possibilité de faire annuler législativement la mesure qui a banni les hommes compris dans l’article 4 de la loi du 12 janvier.

Le respect que nous professons tous pour la majesté royale ne nous permettrait pas de provoquer sur cette matière une initiative que nous saurions d’avance ne pouvoir être obtenue.

Il s’agit ici d’une disposition pénale qui, dans le temps, a été proclamée par les trois pouvoirs : il n’appartient donc qu’à la couronne d’en exempter ceux qui l’ont subie, puisque le Roi seul possède le droit de grâce.

La clémence royale, illimitée de sa nature, peut tout effacer et tout couvrir : le cœur du Roi nous l’a souvent appris. Loin de blâmer, loin de songer à restreindre les applications d’une bonté généreuse autant que politique, j’y applaudis sincèrement, et j’en remercie ceux qui l’ont conseillée.

Mais c’est pour cela même que nous n’avons pas à prévenir de telles inspirations ; car nous ne pouvons pas vouloir en atténuer le mérite. Plusieurs exemples nous attestent que ce qui serait inconvenant de notre part n’est heureusement pas nécessaire. Pourquoi donc, sur un objet qui est aussi personnel à la royauté, aussi inhérent à son essence, recourir à une intervention indirecte ? Pourquoi risquer d’agiter, chaque jour, cette tribune par un genre de pétitions qui ne serviraient à rien, puisque nous ne pourrions leur donner aucun cours, et, qu’elles ne s’adressent qu’au droit de grâce que la Charte réserve exclusivement au chef suprême de l’Etat ?

Tel a été et tel est encore mon avis sur un point, sur un seul point, sans qu’il y ait à en tirer la moindre conséquence pour le reste. Car sur toutes les autres espèces de pétitions, je professe hautement le principe que la Charte nous fait une loi de les recevoir, de les écouter, non certes, en instruments passifs, mais pour les peser selon leur valeur, et pour y chercher les éléments, les indices, d’une opinion dont les trois pouvoirs réunis sont les organes constitutionnels.

Je ne puis nullement penser à cet égard, comme celui de nos collègues qui a paru reléguer parmi les pétitions collectives celles revêtues de plus ou moins de signatures, et relatives à des sujets d’intérêts généraux. Je ne répute pétitions collectives que celles qui seraient l’ouvrage d’individus quelconques parlant au nom d’un plus grand nombre, et offrant leur vœu particulier pour celui de personnes qui n’auraient pas signé avec eux.

La Chambre me permettra d’ajouter un seul mot : en 1815, j’ai appelé sur moi la responsabilité pour tous ceux auxquels j’avais eu à donner des ordres. Atteint moi-même par les rigueurs contre lesquelles le gouvernement luttait alors en vain, comment pourrais-je désirer qu’aucune de celles de cette époque fût éternelle et hors de la clémence royale ?

Je demande que ma déclaration soit mentionnée au procès-verbal que vous venez d’entendre.

Chambre des pairs - Séance du 24 mars 1820

Sur l’instauration d’une loi d’exception

M. le maréchal prince d’Eckmühl Messieurs, la discussion qui a eu lieu dans l’autre Chambre a jeté une vive et fâcheuse lumière sur le projet de loi, qui y a péniblement obtenu une faible majorité. Là, comme à cette tribune, il a été déclaré aussi inconstitutionnel dans son principe que dangereux dans ses conséquences. Ses défenseurs mêmes ont peu nié que ce ne fût le rétablissement des lettres de cachet, au moins temporaire.

Si ce pouvait être là un des produits naturels de notre Charte, elle ne mériterait pas les hommages dont nous nous plaisons à l’entourer, et toute la confiance que nous plaçons dans ses garanties.

Obligé d’opter entre la Charte et la dérogation qui y est proposée, mon choix ne peut être douteux, parce que la Charte, qui a renoué l’alliance entre la France et l’auguste famille des Bourbons, me paraît l’ancre la plus forte pour nous retenir dans le présent, et la meilleure boussole pour nous diriger au milieu des orages que recélerait l’avanir.

L’arbitraire a autrefois ouvert l’abîme des révolutions, que la sagesse royale a déclaré vouloir fermer ; l’arbitrage l’a depuis creusé et recreusé trop longtemps ; l’arbitraire l’a préparé et commencé ailleurs.

D’où donc est venu tout à coup ce prétendu besoin de l’arbitraire dont on s’est tellement épris qu’on n’a pas craint de nous le redemander tout entier et de confiance ?

Je ne crois pas qu’une pareille profession de foi ait jamais été faite avec cette franchise devant aucune assemblée délibérante. On a souvent essayé d’enchaîner les nations ; on ne leur avait pas encore demandé la permission d’avance.

Une telle mesure, pour être justifiée, devrait au moins être montrée nécessaire à la sûreté de la dynastie, à la sûreté de l’Etat. Ici au contraire, l’inutilité est le caractère des dispositions présentées.

Je me suis dès l’origine demandé comment, après un gouvernement que plusieurs de ses anciens admirateurs sont aujourd’hui convenus de charger des épithètes les plus odieuses, notre Code d’instruction criminelle n’offrait aucun moyen d’arrêter à temps des prévenus d’attentats contre la vie du monarque et de sa famille, ou de machinations contre l’Etat.

J’ai interrogé des jurisconsultes pour m’assurer s’il existait réellement dans notre législation une aussi étrange lacune : ils m’ont répondu que la faculté des arrestations n’était confiée qu’à trop de mains, sans qu’on y ajoutât encore celle de trois ministres ; et que le droit de détenir, même au secret, avec un simple commencement d’instruction, était d’une application si facile que les membres les moins habiles du parquet ne seraient point embarraséés pour l’étendre légalement bien au-delà du terme indiqué par le nouveau projet. Plusieurs exemples, puisés dans des circonstances récentes, l’ont tour à tour attesté à chaque parti.

Il a donc bien fallu en conclure qu’il ne s’agit point d’insuffisances dans nos codes, mais d’un système rétrograde, que chaque jour dévoile, et qui menace presque simultanément et la liberté des personnes, et l’usage constitutionnel de la presse, et l’indépendance des élections, et l’incontestable droit de pétition.

Dans le tumulte de l’indignation et des alarmes qui ont immédiatement suivi un horrible assassinat, j’aurais conçu tous les genres de mesures, de précautions et de sévérité. On ignorait encore si le crime qui venait de nous plonger dans le deuil était ou non isolé ; s’il ne se rattachait pas à des ramifications qu’il importait de découvrir : il était permis de soupçonner un complot réel, des traces, des complices à surprendre. J’aime à croire que telle a été la pensée du premier auteur de ce projet, dont l’explication était alors dans l’éclat même de la douleur générale.

Mais aujourd’hui, quoique nos regrets soient d’autant plus vifs que la mort nous a révélé la plus belle âme, supposons à la loi une existence rétroactive ; qui oserait, la main sur la conscience, affirmer qu’elle nous eût conservé le prince que, sur son lit de mort, nous avons appris à connaître tout entier ? Si je partageais cette conviction, je déclare que je voterais de suite pour le projet. Les annales du crime ne prouvent-elles pas qu’il n’y a guère de bouclier impénétrable au fer du misérable qui sait braver l’échafaud et l’infamie.

Il ne m’appartient pas, comme juge futur, de rien préjuger sur l’enquête qui vous sera soumise en haute cour ; mais, après plus d’un mois de perquisitions, d’investigations et de recherches, qu’est ce que la loi pourra faire trouver qui n’aurait pas été découvert jusqu’ici ? Si, ainsi que tout l’indique, notre siècle a à gémir d’avoir vu naître un monstre politique, comme les siècles précédents ont construit des monstres religieux, la justice commande d’avouer que l’esprit humain, tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre, est exposé aux frénésies les plus déplorables, et que toutes les opinions ont leur fanatisme, sans que, pour cela, il faille calomnier ou détruire ce qui est excellent en soi, ce qui est également nécessaire aux sociétés civilisées, ce qui agrandit honorablement notre nature : la religion et la liberté contenues dans des limites raisonnables.

Si on allait plus loin, Messieurs, si, à l’occasion d’un forfait exécrable, on sacrifie, même temporairement, la liberté individuelle, quand la recouvrerons-nous ? Car enfin les doctrines que quelques personnes ont tant de plaisir à proclamer pernicieuses, et que l’on confond souvent avec les résultats de la Révolution consacrés par la Charte, et avec les nouveaux intérêts qu’elle a créés, seront-elles toutes étouffées pour le temps de la première session, terme apparent de la loi ? Alors il existera malheureusement peut-être encore, cachés parmi nous, comme il a existé à diverses époques, chez la plupart des nations, de ces esprits sombres et farouches qui rongent en frémissant le frein de l’autorité et des lois, et auxquels il ne manque que l’espoir de l’impunité pour s’élancer vers le crime.

Argumentera t-on de cette possibilité pour solliciter des lois d’exception ? Qu’on nous avoue donc nettement qu’on nous demande des lois perpétuelles de ce genre ; et que le temps est venu de renoncer à nos droits les plus chers, de peur que des scélérats n’en abusent.

Conséquence commode, j’en conviens, et qui n’a pas le mérite de la nouveauté ni de l’à-propos ; mais conséquence désastreuse aussi, pour peu qu’on considère combien elle a ébranlé de gouvernements qui y ont placé une aveugle confiance.

L’histoire n’a plus besoin d’être consultée pour y chercher des leçons et ces utiles avertissements. Notre propre expérience est sous tous les yeux : celle de nos voisins ne rafraîchit-elle pas, en ce moment même, nos souvenirs, et ne répond-elle pas trop à tous les prôneurs des moyens extrêmes et des répressions violentes ?

Ce qui n’est plus en harmonie avec les voeux et les opinions des peuples est-il donc si facile à maintenir, quelque soit le zèle officieux des auxiliaires qui s’offrent pendant qu’il n’y a point de péril ? Mais que deviennent-ils au jour de la tempête que leur propre imprudence a souvent excitée ?

On nous promet de ne faire l’usage que le plus modéré des pouvoirs discrétionnaires que l’on réclame. Je pense que telles sont les intentions actuelles des ministres, et surtout du président du conseil : leur caractère, leurs antécédents, les intérêts mêmes de leur conservation répondent de leurs voeux à cet égard. Mais qui les mettra eux-mêmes à l’abri de l’entraînement des circonstances ? Qui les défendra des erreurs de leurs subalternes, des obsessions de l’esprit de parti, des mille dénonciations qu’il répètera autour d’eux, jusqu’à ce qu’elles aient produit leur effet ?

Ou ils appliqueront la loi au gré de leurs nouveaux auxiliaires ou ils résisteront aux importunités dont ils seront enveloppés. Dans le premier cas, ils rendront leur autorité odieuse en raison des coups qu’ils frapperont, ou ils deviendront bientôt eux-mêmes suspects pour ne vouloir pas faire usage des armes qu’on leur aura mises dans les mains.

C’est alors à eux qu’on s’en prendra de tous les hasards, de tous les accidents, de ces résistances presque inévitables que l’arbitraire rencontre ou provoque.

Le commencement et la fin de toutes les oppressions se ressemblent : douceur d’abord, irritation bientôt, excès de précaution par suite de la cruauté même qu’on excite, et enfin violences chaque jour croissantes, jusqu’à ce que le joug se brise de lui-même comme sous son propre poids.

Si d’ailleurs il était convenable de presser ici les ministres, et de les interpeller sur leur degré de sécurité, sont-ils tous également sûrs de leur position ? N’en est-il pas qui ont derrière eux des successeurs en instance ? Les connaissent-ils assez pour nous répondre de leur modération et de leur invincible résistance aux volontés réactionnaires de leur propre parti ?

Où sont les devanciers des ministres actuels ? Avaient-ils moins de crédit ? Etaient-ils recommandés par moins de services ? Cependant ils ont disparu, et ont peut-être emporté le regret d’avoir proposé des mesures dont ils se flattaient aussi de prévenir les dangers avec une fermeté et un courage dont ils avaient, en effet, donné plus d’une noble preuve.

Réservons donc, Messieurs, notre confiance entière pour des lois justes et sages par elles-mêmes, et ne la hasardons pas trop en des hommes qui sont mobiles. Les bonnes intentions ne suffisent point aux hommes d’Etat : j’admets sans peine qu’ils veulent le bien. Mais le préfèreront-ils à leurs places ? Mais sont-ils toujours sûrs de le distinguer où il est réellement ?

Il faut des barrières contre les chances de l’erreur, contre les tentations du mal ; il faut des limites que personne ne puisse franchir. Ces barrières, ce sont les constitutions, pourvu qu’elles soient réciproquement obligatoires. Car, que serait un contrat que l’une des parties violerait à son gré, sous le spécieux prétexte du mieux ?

La France était calme il y a un an, il y a moins de six mois encore. La plupart des lois d’exception étaient tombées devant la puissance de l’opinion. Ceux mêmes qui nous montrent aujourd’hui tout perdu, si on ne les rétablit pas, protestaient alors contre l’agitation que leurs essais eussent recommencée, si on les avait crus. Le bruit des conspirations plus ou moins exagérées ne se faisait plus entendre au milieu des bénédictions qui arrivaient de tous côtés vers le monarque. Quels sinistres ressentiments ont succédé à ces marques de reconnaissance, de satisfaction universelle ? C’est pour améliorer ce qu’ils ne trouvaient pas assez parfait, que de hasardeux novateurs ont vanté leurs remèdes, sans avoir encore réussi à en accréditer aucun.

Repoussons ce que la voix de la France réprouve, et qui ne servirait qu’à envenimer quelques plaies que le temps et la bonté du Roi allaient cicatriser. Rendons au malade le régime qui avait déjà opéré des merveilles sur lui. Renfermons-nous dans la Charte pour le salut général.

Si là il survient de nouveaux dangers, nous les partagerons, nous en triompherons en commun. C’est autour du trône légitime et constitutionnel que sera alors le point de ralliement et de défense. Pendant qu’aucune faction ne l’envahira, ne le dominera, il aura pour base et pour appui la France entière, les Chambres, nous tous...

Cette Chambre, j’ose le dire, s’honorera à jamais par la proclamation nette et invariable de semblables principes. Elle consolidera et éternisera ainsi le privilège si nécessaire de son existence. Laisserons-nous échapper une occasion, peut-être unique, de faire reconnaître véritablement en nous, et les protecteurs des libertés nationales, et les défenseurs du trône ?

Déjà, peut-être, le coeur et la sagesse du Roi s’entendent avec nous contre une proposition dont ses ministres n’avaient pas mesuré toutes les conséquences. Refusons-leur à eux-mêmes des armes qu’on ne tarderait pas à tourner contre eux. La monarchie ne me semblerait sérieusement menacée que le jour où l’on aurait la coupable témérité de laisser croire à ses dangers devant le maintien et le développement de nos nouvelles institutions.

C’est pour épargner à la couronne et à notre patrie cette longue série de calamités, ces révolutions et ces contre-révolutions successives et indistinctement avides de victimes que je conjure les ministres de conseiller au Roi de retirer un projet vide d’avantages et plein de périls ; et si ce voeu, qui sort de ma conscience, n’est pas entendu, j’en vote le rejet.

Chambre des pairs - Séance du 28 février 1822

Sur la liberté de la presse

M. le maréchal prince d’Eckmühl Messieurs, le projet que nous discutons, déjà remanié trois fois, a subi d’étranges vicissitudes, sans en devenir meilleur.

Vicieux, dès sa naissance, par la généralité et le vague des délits contre lesquels il semblait dirigé ; obscur par l’absence de définitions des termes, que chacun explique à son gré ; trop sévère par l’exagération des peines qu’on y prodigue, il renfermerait les germes d’un menaçant arbitraire.

Ces dangers pouvaient du moins être atténués par le maintien du jury qui, quelle qu’en soit la composition, ne crée jamais une jurisprudence inflexible, s’écarte rarement d’une sage réserve, et tend, par la mobilité même des éléments, plutôt vers l’indulgence due aux erreurs d’opinion, que vers une sévérité excessive.

Cette Chambre, essentiellement conservatrice de la consitution et de la prérogative royale, n’a dû voir qu’avec peine arriver à elle un projet de loi renfermant des changements si importants, sans l’initiative royale. Aussi y trouve t-on moins une garantie pour la paix publique, qui n’a été nulle part troublée par les excès de la presse, qu’un bouclier pour un parti qui ne voudrait être ni important ni embarrassé dans ses conquêtes contre nos libertés.

Les mêmes illusions, Messieurs, ont aveuglé la plupart de ceux qui se sont, tour à tour, emparés d’un pouvoir qu’ils se flattaient également de fixer dans leurs mains.

La royauté, la royauté légitime, inséparable de la Charte, consacrée par elle comme par les nécessités et par les voeux de la nation, n’éprouve nullement ces besoins d’extensions extraoridinaires. Que ferait-elle, en effet, que se blesser, que se dépopulariser par les inventions si peu françaises d’omnipotence et de dictature ?

Comment concilier, avec une monarchie constitutionnelle, les interprêtations tyranniques de l’article 14 de notre Code fondamental ? Où est l’avantage d’effrayer les esprits en proclamant que ce Code contient la faculté de se suspendre, de se ruiner lui-même ? Est-ce là honorer le prince législateur auquel nous le devont ? Ne serait-ce pas supposer, outrageusement pour lui, qu’il s’est réservé de retirer d’une main ce qu’il a donné de l’autre ?

Le roi règne, et sa famille règnera par des droits que personne ne conteste, lors même qu’on varie sur l’origine ou l’époque de ces droits. Que l’on comprenne mieux la Charte, et qu’on apprenne à s’y renfermer ! Tel est le devoir de tous, le lien indissoluble et le seul système qu’on n’ait pas encore assez franchement pratiqué. On jugera alors si la puissance manque au gouvernement, et l’assentiment national à sa marche.

Mais dans les continuelles accusations qu’on semble articuler contre un passé de trente ans, contre l’esprit de la France, je n’aperçois que l’absurde pensée de voir en nous des coupables, et d’amnistier jusqu’à notre gloire. Je ne vois là que les calculs et les efforts d’un parti. On n’étouffera pas, par des calomnies, la conscience du peuple français ; il y aurait trop de mauvaise foi à le confondre avec quelques criminels qu’il a toujours désavoués. On n’obtiendra, ni le repentir de ce qu’il a exécuté de grand, ni le silence universel qu’on espère imposer. Les intérêts réels du Roi et des masses, qu’on ne parviendrait pas à désunir longtemps, triompheront des prétentions exclusives.

Il y a, dans l’ordre social, autre chose à protéger que de grandes terres et d’antiques renommées ; quoique, sous ce double rapport même, nos rangs puissent soutenir avec avantage tous les parallèles.

Mais, les propriétaires de toutes espèces et de tous les degrés ont aussi des droits qu’on n’abolit pas en les niant, ni même en les méconnaissant. Leurs parts du territoire, pour être dispersées en plus de mains, n’en doivent pas moins conserver leur poids dans la balance politique. On a déjà que trop affaibli ces influences, avec celles de l’industrie et du commerce. Serait-il vrai que l’on songeât à les affaiblir encore, et que, pour cela, il fallût commencer par briser les plumes et fermer les bouches ?

Ce serait étrangement se méprendre sur les motifs de la tranquillité de la France, que de ne pas l’attribuer en grande partie à ce nombre chaque jour croissant de propriétaires, qui n’ont pas un moindre besoin de l’ordre public, et que l’on doit regarder comme la plus forte barrière contre les dangers d’une démocratie dont nous sommes si éloignés.

Mon dessein n’est point d’ntrer dans les détails d’un projet qui a été si victorieusement combattu ; il me suffit de vous en avoir signalé le caractère, d’en avoir montré le but, et de vous rappeler qu’on vous a déjà transmis un autre projet non moins dangereux, destiné à compléter celui-ci.

Ce n’est pas, Messieurs, que je sois, sous aucun rapport, partisan de la liberté illimitée de la presse, ni de ses funestes abus, mais les lois des 17 et 26 mai, celle du 9 juin 1819, me paraissent suffisantes pour nous préserver d’une licence qui, certes, n’a pas été jusqu’ici impunie.

Ces lois ont très rarement manqué leur objet, lorsqu’on s’est donné la peine de les invoquer de bonne foi, au lieu de les laisser sommeiller pour avoir le prétexte de solliciter des mesures plus commodes. La preuve de l’efficacité des ces lois est dans les nombreuses condamnations prononcées par l’action réunie du jury et des cours d’assises, qu’on vous propose de séparer de nouveau. Vous en aviez ainsi jugé vous-mêmes en adoptant ces dispositions après le plus mûr examen. Si toutes les fois qu’une loi laisse échapper quelques uns de ceux que le ministère ou ses agents réputent criminels, elle est, par cela même, mise en prévention et traduite devant les Chambres : nous aurons chaque année à retoucher nos propres oeuvres, en accusant notre imprévoyance.

J’avais cru, jusqu’à présent, sur la parole des plus fameux publicistes, de quelques uns même de ceux dont s’honore cette enceinte, qu’il valait mieux adsoudre plusieurs coupables que de s’exposer à atteindre un seul innocent. Cette doctrine ne convient peut-être plus aux passions qui s’agitent autour de nous. Pour moi, qui me sens fort peu disposé à être leur auxiliaire, j’ai été très peu frappé des prétendus scandales d’impunité dont on a, tout à coup, fait tant de bruit pour nous surprendre et nous effrayer.

Il est à regretter que, dès le principe, on n’ait pas donné connaissance des condamnations et des absolutions en fait de délits sur la presse, prononcées en vertu des lois anciennes. Un des nobles pairs y a suppléé, et nous a ainsi fourni la preuve de l’efficacité des anciennes lois. Il n’était donc pas nécessaire d’en proposer de nouvelles, et de nous exposer, en les adoptant, à violer les principes essentiels de gouvernement représentatif, qui ne vit que de la publicité, et même du choc de toutes les opinions.

Quel rôle fait-on jouer à cette Chambre en la pressant de révoquer, après une si courte expérience, ce qu’on lui présentait naguère comme la merveille du génie législatif ? Est-il de sa dignité, de sa considération au dedans et au dehors, d’afficher cette complaisante instabilité dans ses plus graves décisions ?

Il y aurait aujourd’hui une égale imprudence à nous approcher et des usages surannés de l’ancien régime, et des fortes méthodes du régime impérial. Ces institutions ont pu avoir leur raison suffisante , mais combien d’événements et d’abîmes nous en séparent pour toujours ! Quelles tempêtes ont dispersé ces ruines qu’on ne tenterait plus de ramasser et de relever que pour en être écrasé de suite !

Le monde appartient désormais à d’autres combinaisons contre lesquelles on lutterait en vain.

On s’occupait peu alors de jurys et de Chartes ; mais en faisait-on plus sagement ? Qu’est devenu l’irrégulier édifice bâti par nos ancêtres et par le temps ? Qu’est devenu ce colossal monument construit par un génie supérieur, et à l’ombre duquel nous nous étions réfugiés après tant d’orages ? Le sort de l’un et de l’autre n’est-il pas pour nous tous une éloquente leçon, et un puissant avertissement de nous reposer enfin dans nos institutions nouvelles, de ne plus nous confier au triomphe passager de la force, ni aux incalculables hasards de l’arbitraire ?

Au point où nous en sommes, il me serait probablement inutile d’insister pour le rejet du projet entier ; mais il me serait impossible d’en voter l’adoption, si on n’y replaçait le jury, conservé même par le dernier ministère ; et si, dans l’article 2, on n’ajoutait à l’autorité du Roi l’épithète de constitutionnelle, précédemment approuvée par les deux Chambres, et qu’on n’a pas pu retrancher sans éveiller les plus fâcheux soupçons.

J’appuie donc les deux amendements proposés par M. le comte Bastard de l’Etang.