LECLERC Aimée (1782-1868)

Très belle femme d’après tous les témoignages, Aimée Leclerc, épouse du maréchal Davout, fut une femme de coeur et une femme de tête qui a profondément marqué la ville de Savigny-sur-Orge.

Aimée est la fille de Jean-Paul Leclerc, conseiller du roi au grenier à sel de Pontoise, et de Marie Jeanne Musquinet. Jean Paul Leclerc est titulaire, depuis 1762, d’un office de grenetier. C’est un notable issu d’une famille qui a connu une importante progression sociale depuis le siècle précédent. Plusieurs de ses ancêtres sont maçons. Le 19 septembre 1763, Jean-Paul avait épousé Marie Jeanne Musquinet. De cette union naîtront six enfants : Jean Louis (1767-1822), Jean (mort en bas âge), Nicolas Marin, comte Leclerc des Essarts (1770-1820), Victoire Emmanuel (1772-1802 ; qui épousera Pauline Bonaparte), Françoise Charlotte (1776-1853 ; qui épousera le général Friant), et Aimée, née le 19 juin 1782.

Ses parents envoient la jeune Aimée à Saint-Germain, à la célèbre institution de Madame Campan. Elle y fait la connaissance de Caroline Bonaparte et surtout de Hortense de Beauharnais.

Mariage avec Davout

En 1801, avant de partir pour la fatale expédition de Saint-Domingue, son frère, le général Victoire Emmanuel Leclerc souhaite vivement voir sa sœur établie. Il en parle à sa jeune épouse, Pauline Bonaparte, qui s’en ouvre sans doute à son frère Premier Consul. Une alliance avec le général Lannes est d’abord proposée à Aimée Leclerc mais celle-ci décline fermement cette proposition. Le général Leclerc songe alors au général Davout. Ayant approuvé cette idée, il semble que ce soit Bonaparte lui-même qui joua l’entremetteur entre la jeune fille et le jeune général ; avec succès. Davout évoque sa promise dans un courrier du 13 brumaire, an X, adressé au Préfet de l’Yonne : « Si je ne vous ai pas prévenu plus tôt, c’est que mon mariage n’est arrêté que depuis deux jours. J’épouse Melle Leclerc, soeur du Général Leclerc, beau-frère du premier consul. Cette jolie et très belle personne est affligée de 18 ans, d’un caractère qui répond à son physique. Je trouve tout réuni dans cet établissement et en outre l’inappréciable avantage de m’allier avec la famille de l’homme à qui je porte un dévouement et un attachement sans borne. »

Le mariage est célébré le 9 novembre 1801. Le marié apporte quelques biens (la maison de Ravières) et un avenir prometteur alors que la mariée fait entrer son époux dans le cercle du pouvoir, celui de la famille Bonaparte.

Amour et difficultés financières

L’année suivante, les Davout achètent, à crédit, le château de Savigny (la dernière mensualité ne sera acquittée qu’en 1829 !). Les lourdes charges induites par l’entretien de cette propriété ( à laquelle s’ajoutera notamment le petit Hôtel de Monaco à Paris acheté sur ordre de l’Empereur le 31 octobre 1809) et l’intégrité légendaire du maréchal expliquent les difficultés financières que le couple aura régulièrement à surmonter.

Les nombreuses correspondances échangées pendant les années suivantes entre Louis et Aimée recèlent en effet deux constantes : les soucis financiers et l’amour mutuel. Il ne fait en effet aucun doute que cette union fut heureuse. Si le maréchal eut quelque aventure (on parle d’une dame Martin à Varsovie), ce fut toujours très discret et sans lendemain. Et comment reprocher quelques écarts (qui ne sont d’ailleurs pas avérés) à un homme qui, risquant régulièrement sa vie sur les champs de batailles, reste éloigné de son foyer pendant de si longs mois ?

C’est en raison de ces absences prolongées que le maréchal Davout laissera toujours son épouse gérer les affaires familiales. Qu’il s’agisse de l’éducation des enfants ( les Davout en auront huit, dont quatre décèderont en bas âge), de l’aménagement et de l’entretien du château de Savigny ou la gestion des finances du couple, le prince d’Eckmühl donne toujours son avis mais laisse la maréchale décider en dernier ressort.

Il est vrai que Aimée a du caractère. Alors que son mari l’incite souvent à se rendre à Paris, à paraître à la Cour, à visiter l’impératrice Joséphine, la princesse d’Eckmühl trouve toujours des prétextes pour rester dans sa campagne savinienne. Ainsi, en 1804, Napoléon désigne Aimée pour être dame d’honneur auprès de Laetitia, Madame Mère. La maréchale s’y résigne la mort dans l’âme mais trouve rapidement l’excuse (légitime) d’une grossesse pour quitter ses fonctions. Parfois, lorsque les événements le permettent, elle entreprend de longs voyages pour rejoindre son mari (à Bruges en 1804, à Varsovie pendant cinq mois en 1808, en Autriche en 1809, à Hambourg pendant six mois en 1811 puis encore pendant une vingtaine de jours pendant l’été 1813). La très abondante correspondance entre les époux (cf les ouvrages de la marquise de Blocqueville) ne compense pas les fréquentes et longues séparations mais atteste indubitablement de la sincérité de leurs sentiments.

Pendant que le prince d’Eckmühl s’illustre sur les champs de batailles à travers l’Europe, c’est donc Aimée qui aménage la propriété de Savigny, en dépit des difficultés financières qui s’accumulent. Elle fait édifier une basse-cour, elle fait restaurer l’orangerie, elle fait agrandir les écuries, elle fait reconstruire le vieux moulin, etc. Elle commente l’avancée des travaux dans les lettres qu’elle adresse très régulièrement à son mari et lui ne cesse de la féliciter de ses choix.

Joies et tristesse

Pendant les Cent Jours, son époux étant au ministère de la Guerre, la maréchale réside presque exclusivement à l’Hôtel de Monaco, mais ils ne se voient pas davantage. Il faut la débâcle de Waterloo et la démission du prince d’Eckmühl pour que le couple se retrouve enfin à Savigny. Le château est alors occupé par des Prussiens, et les réquisitions (foin, avoine), exigées par les troupes alliées d’occupation, qui pèsent sur le château sont très importantes. La situation s’aggrave encore avec la mesure d’exil prononcée contre le maréchal Davout le 27 décembre 1815, suite à son témoignage courageux en faveur de Ney. Un cousin d’Aimée, résidant à Louviers (Eure), accepte d’héberger le vainqueur d’Auerstaedt.

Pour subvenir aux besoins de la famille pendant les six mois que dure l’exil de son époux, la maréchale loue l’Hôtel de Monaco à des Américains et vend son argenterie.

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Aimée et ses enfants à Savigny

Après le retour du maréchal, le couple vit enfin des moments heureux, partageant son temps entre l’entretien des vignes, la réception d’amis, la mairie de Savigny-sur-Orge, l’éducation des enfants. Un des plus grands moments de bonheur est certainement le mariage, le 5 août 1820, de leur fille Joséphine avec Achille Vigier. Mais un des plus grands malheurs suit malheureusement, un an après, avec le brutal décès de Joséphine, une semaine après qu’elle eût donné le jour à un petit garçon. Déjà affaibli par des ennuis de santé, le maréchal ne se remet pas de ce drame et s’éteint le 1er juin 1823 en son Hôtel de Monaco à Paris.

La maréchale demeure donc seule. Il lui reste encore 45 ans à vivre. Il lui faudra attendre six ans (1er octobre 1829) pour que la royauté lui accorde une pension.

La châtelaine de Savigny-sur-Orge

C’est le début de relations assez orageuses avec la municipalité de Savigny-sur-Orge. Jalousie ou rancœur à l’égard de la plus grande propriétaire terrienne de la région ? Nul ne le sait. Toujours est-il que les litiges vont se multiplier de 1824 à 1831 et surtout de 1837 à 1841, pour disparaître ensuite avec l’élection de son fils, Louis Napoléon Davout, 2ème prince d’Eckmühl, au fauteuil de maire de la commune. « L’arrivée du fils à la Mairie inaugura une ère d’entente cordiale entre la Maréchale et la Municipalité, en même temps que débuta celle des grands travaux, avec la participation plus ou moins effective de Madame Davout : la gare, la mairie, l’école de garçons, le presbytère, l’école de filles et l’asile Joséphine » (Jacques-André Janvier).

Jusqu’à la fin de sa vie, la princesse d’Eckmühl reçoit encore des amis du maréchal (il ne reste plus beaucoup de survivants), notamment son ancien aide de camp le général de Trobriand, et elle passe du temps avec ses filles, l’une mariée au comte de Cambacérès et l’autre au marquis de Blocqueville Elle semble s’être fâchée avec sa soeur mariée au général comte Friant pour une histoire d’héritage.

La maréchale s’éteint le 17 décembre 1868, à l’âge de 86 ans, en son hôtel parisien. Femme de cœur et femme de tête, elle a marqué la ville de Savigny-sur-Orge ; et, lorsque le Conseil municipal décida, le 6 juin 1872, de donner le nom de Place Davout à l’esplanade en face du château, il songeait certainement au moins autant à la princesse d’Eckmühl qu’à son illustre époux.

Pour en savoir plus : « Aimée Davout, maréchale et princesse » par Marie-José CHAVENON, Paris, Editions Gérard Louis, 2013