03. La prise de Neusiedel (Thiers)

Sur l’aile droite de la grande armée, Davout avait pour tâche d’enlever la position de Neusiedel sur le plateau de Wagram. Laissons Thiers raconter cet épisode crucial de la bataille.

Les généraux Montbrun et Grouchy [1], l’un avec la cavalerie légère, l’autre avec les dragons d’Italie, ont préparé le passage du Russbach sur notre extrême droite, soit pour eux, soit pour l’infanterie. Les divisions Morand et Friant franchissent ce ruisseau à la suite de la cavalerie, et, ployées par un mouvement de conversion sur le flanc de la position de Neusiedel, forment un angle droit avec Gudin et Puthod, qui sont restés devant le Russbach, de Neusiedel à Baumersdorf [2].

Le moment d’attaquer étant venu, ces braves troupes, dignes de leur chef, gravissent le revers de la position de Neusiedel avec une rare intrépidité. Morand, placé à l’extrême droite, s’avance le premier, parce que la pente plus douce de son côté offre un abord plus facile. Friant, placé entre Morand et Neusiedel, où il forme le sommet de l’angle, attend que Morand ait gagné du terrain sur l’extrémité de la ligne ennemie, pour attaquer la hauteur à son tour. Il se borne quant à présent à un violent feu d’artillerie, qu’il soutient avec soixante pièces détachées de plusieurs divisions. Morand, secondé à gauche par cette canonnade, à droite par les charges de cavalerie de Montbrun, gravit froidement le terrain qui s’élève devant lui. Rosenberg, pour faire face à cette attaque de flanc, replie sa ligne en arrière. La mousqueterie de toute cette partie de la ligne autrichienne n’arrête point Morand. Il continue à monter sous un feu plongeant, et puis aborde l’ennemi en colonne d’attaque.

Le prince de Rosenberg dirige alors un effort sur la gauche de Morand, formé par le 17e régiment de ligne, et l’oblige un instant à céder. A cette vue, Friant envoie au secours du 17e la brigade Gilly, composée du 15e léger et du 33e de ligne, lesquels s’élancent à la baïonnette sur la hauteur, et refoulent les troupes de Rosenberg. Les divisions Puthod et Gudin, restées en face du Russbach, entrent à leur tour en action sous la conduite du maréchal Davout. Puthod se jette dans Neusiedel avec ses quatrièmes bataillons, pénètre dans les rues de ce village, et les dispute aux troupes autrichiennes, qu’il contraint après de grands efforts à se retirer sur la hauteur en arrière.

Au même instant, Gudin, qui a franchi le Russbach, escalade audacieusement sous un feu meurtrier le plateau de Neusiedel, tandis que Friant a déjà gagné du terrain sur les derrières de Rosenberg. La tour carrée est en ce moment dépassée par le double mouvement de Friant et de Gudin.

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La tour carrée de Markgrafneusiedl est maintenant...ronde.

Tout n’est pas fini cependant. Jusqu’ici on n’a eu à combattre que Rosenberg favorisé par la position. Mais Hohenzollern, demeuré immobile au-dessus de Baumersdorf en face d’Oudinot qui n’agit pas encore, porte une moitié de ses troupes vers la tour carrée, et les dirige sur la droite de Gudin pour la précipiter dans le Russbach. Vainement à travers les baraques du camp essaye-t-on de faire défiler les cuirassiers d’Arrighi [3], pour les lancer sur la hauteur qui se termine en plateau. Ces cuirassiers, assaillis par un feu des plus vifs à travers les routes étroites du camp, ne peuvent pas charger avec avantage, et sont ramenés en désordre. Le 85e de ligne de la division Gudin accueilli par la plus violente fusillade est presque arrêté dans son mouvement. Les autres régiments de Gudin [4]. se hâtent de venir à son secours. La division tout entière lutte avec Hohenzollern, qui est peu à peu repoussé, tandis que Friant et Morand gagnent du terrain sur le derrière du plateau, en poursuivant les troupes de Rosenberg l’épée dans les reins.

Pendant que le maréchal Davout accomplit ainsi sa tâche, Napoléon voyant ses feux dépasser la tour carrée, ne doute plus du succès de la journée. La bataille est gagnée ! s’écrie-t-il.

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Une plaque commémore la victore de Davout contre Rosenberg.

A. Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, 1851

[1] Grouchy, avec les dragons italiens de la Reine (brigade Guérin), avait été affecté en renfort au 3ème corps

[2] Aujourd’hui respectivement Markgrafneusiedl et Parbarsdorf

[3] Le décret du 15 avril 1806 forme un régiment de dragons de la Garde à 1 puis à 3 escadrons, par prélèvement dans chacun des 30 régiments de dragons de la ligne, de 11 hommes ayant 10 ans de service. Le cousin de l’Empereur, Arrighi de Casanova, futur duc de Padoue en est le premier major-colonel. Il n’est remplacé qu’en 1813 par le général d’Ornano. Le régiment est porté à 4 escadrons en 1807 et à 5, de 150 cavaliers chacun, en 1811. A partir de 1807, ce corps est appelé officieusement Dragons de l’Impératrice.

[4] Deutsch-Wagram, 6 juillet 1809 - Le maréchal duc d’Auerstaedt au Major général de la Grande armée, prince de Neufchatel - Monseigneur, j’ai l’honneur d’informer Votre Altesse que j’ai pris mon quartier général de ce jour à Deutsch-Wagram. J’aurai l’honneur de lui adresser incessamment un rapport sur les événements de ces deux jours ; mais en attendant, je dois lui faire connaitre combien, dans la bataille d’aujourd’hui, j’ai eu à me louer de la conduite de tout mon corps d’armée, et particulièrement de la division Gudin. Ce général a reçu trois coups de feu, dont l’un lui a traversé la cuisse, mais heureusement sans que la blessure soit dangereuse, et n’a quitté le combat que quelque temps après, lorsque l’affaire était décidée