De part et d’autre, en effet, tout se préparait pour une action décisive. L’archiduc Charles ne pouvait plus conserver aucun espoir de ramener à lui sa gauche, rejetée au delà de l’Isar
Il ne devait plus avoir qu’un désir, celui de se réunir à l’armée de Bohême, ce qui devenait facile depuis la prise de Ratisbonne. Mais il voulut, à son tour, tenter quelque chose qui, en cas de succès, aurait rétabli les chances, et rendu à Napoléon ce qu’il avait fait aux autrichiens, en lui enlevant la ligne d’opération
Il conçut donc le projet singulier d’essayer une attaque en trois colonnes sur Abach, dans la direction même que le maréchal Davout avait suivie pour remonter de Ratisbonne sur Abensberg .
Ayant maintenant le dos tourné vers Ratisbonne et la face vers Landshut, il n’avait qu’à faire un mouvement par sa droite sur Abach, pour exécuter ce projet, qui le plaçait sur la ligne de communication des Français ; et comme il n’y avait d’ailleurs vers Abach que l’avant-garde du général Montbrun, laquelle, après avoir combattu le 19 à Dinzling contre le corps de Rosenberg, ne cessait d’escarmoucher avec les troupes légères autrichiennes, il eût été possible de percer, et de déboucher sur nos derrières.
Mais, toujours hésitant, soit par la crainte de ce qui pouvait arriver de toute entreprise hardie devant un adversaire comme Napoléon, soit par la crainte de compromettre une armée sur laquelle reposait le salut de la monarchie, l’archiduc apporta dans l’exécution de cette nouvelle entreprise des tâtonnements qui devaient en rendre le succès impossible
D’abord, pour donner au général Kollowrath, détaché de l’armée de Bohême, le temps de passer le Danube, il décida que l’attaque n’aurait lieu qu’entre midi et une heure, moment choisi par Napoléon pour forcer le passage d’Eckmühl.
Il distribua ses troupes en trois colonnes La première, composée du corps de Kollowrath, ayant une partie de la brigade Vecsay pour avant-garde, devait marcher de Burg-Weinting sur Abach . Elle était de 24 mille hommes.
La seconde, composée de la division Lindenau et du reste de la brigade Lindenau et du reste de la brigade Vecsay, devait, sous le prince Jean de Lichtenstein, marcher par Weilhoe sur Peising. Elle était de 12 mille hommes, et avait l’archiduc généralissime à sa tête .
La troisième enfin, forte de 40 mille hommes, composée du corps de Rosenberg qui était placé aux villages d’Ober et d’Unter-Leuchling, en face du maréchal Davout, du corps de Hohenzollern qui barrait la chaussée d’Eckmühl, des grenadiers de la réserve et des cuirassiers qui gardaient l’entrée de la plaine de Ratisbonne vers Egglofsheim, devait rester immobile et défendre contre les Français la route de Landshut à Ratisbonne, tandis que les deux premières colonnes feraient leur effort sur Abach .
L’archiduc se préparait donc à prendre l’offensive par sa droite, forte de 36 mille hommes, tandis que sa gauche, forte de 40 mille hommes, se tiendrait sur la défensive, à mi-côte des hauteurs qui séparent la grosse Laber de la vallée du Danube. Napoléon, de son côté, marchant au secours du maréchal Davout sur Eckmühl, allait se ruer sur cette gauche avec toutes ses forces, les deux généraux ennemis agissant ainsi sur les communications l’un de l’autre, mais le premier avec hésitation, le second avec une irrésistible vigueur. Cette gauche de l’archiduc, qui devait nous disputer la route de Ratisbonne aux environs d’Eclmühl, était disposée comme il suit. Le corps de Rosenberg était établi à mi-côte sur les hauteurs qui bordent la Laber, derrière les deux villages d’Ober-Leuching et d’Unter-Leuchling, flanquant la chaussée de Ratisbonne.
Un peu plus loin et plus bas se trouvait le corps de Hohenzollern, occupant les bords de la grosse Laber, le château d’Eckmühl, les rampes de la chaussée que Ratisbonne forme au-dessus de ce château. Sur le revers au milieu de la plaine de Ratisbonne, se tenait toute la masse des cuirassiers et des grenadiers, en avant et en arrière d’Egglofsheim.
C’était donc en face des deux villages d’Ober et d’Unter-Leuchling, puis sur la chaussée d’Eckmühl, et enfin la plaine de Ratisbonne, que l’action devait se passer.
Jusqu’à huit heures un épais brouillard enveloppa ce champ de bataille, de l’aspect le plus agreste, et où allait couler le sang de tant de milliers d’hommes Dès que le brouillard disparut, on se prépara de part et d’autre, les uns à la défense, les autres à l’attaque.
Le maréchal Davout disposa vers sa gauche la division Friant pour la diriger sur les sommets boisés auxquels s’appuyaient les deux villages d’Ober et d’Unter-Leuchling, vers sa droite la division Saint-Hilaire pour attaquer de front les deux villages que les autrichiens occupaient en force.
Plus à droite et plus bas, sur le bord de la grosse Laber, il avait rangé les cavaleries bavaroise et wurtembergeoise, et en arrière les divisions de cuirassiers français qui étaient déjà arrivées.
Les Autrichiens de leur côté s’établissaient de leur mieux sur les hauteurs qu’ils avaient à défendre. Le prince de Rosenberg avait fait barricader le village d’Unter-Leuchling, le plus menacé des deux, placé une partie de ses forces dans l’intérieur de ces deux villages, et le reste au-dessus sur un plateau boisé qui les dominait.
Pour se retirer avec la chaussée d’Eckmühl, qui passait derrière lui, il avait déployé sur un coteau le régiment de Czartoryski, avec beaucoup d’artillerie, de manière à labourer de ses boulets toute la vallée par laquelle devaient se présenter les Français.
La brigade Biber, du corps de Hohenzollern, était en masse profonde le long de la chaussée au-dessus d’Eckmühl, tandis que Wukassovich occupait avec plusieurs détachements l’autre rive de la grosse Laber, attendant les Français qui venaient de Landshut. Avant midi pas un coup de fusil ou de canon ne troubla les airs.
On discernait seulement de nombreux mouvements d’hommes et de chevaux, et sur ces coteaux couverts de bois, au milieu de ces prairies humides et verdoyantes, on voyait se dessiner en longues lignes blanches les masses de l’armée autrichienne.
Vers midi d’épaisses colonnes de troupes parurent dans la direction de Landshut : c’étaient les divisions Morand et Gudin précédées des wurtembergeois, suivies des maréchaux Lannes et Masséna, et de Napoléon lui-même, qui accouraient tous au galop.
Les troupes françaises arrivant de Landshut par Buchhausen, d’une chaîne de coteaux placée vis-à-vis d’Eckmühl, et formant la berge opposée de la vallée de la grosse Laber.
Sans qu’on eût à donner le signal convenu, la rencontre des avant-gardes annonça le commencement du combat. Les Wurtembergeois, en débouchant de Buchhausen, furent accueillis par la mitraille partant d’une batterie de Wukassovitch, et par les charges de sa cavalerie légère.
Repoussés d’abord, mais ramenés bientôt en avant par le brave Vandamme, soutenus par les divisions Morand et de Gudin, ils enlevèrent Lintach, bordèrent la grosse Laber devant Eckmühl, et se lièrent par leur gauche avec la division Demont et les Bavarois.
A leur droite, les avant-postes de la division Gudin vinrent se répandre entre Deckenbach et Zaitzkofen, vis à vis d’Eckmühl et de Roking.
Au premier coup de canon tiré par l’avant-garde, l’intrépide Davout ébranla ses deux divisions. L’artillerie française vomit d’abord une grêle de projectiles sur tout le front des Autrichiens, et les obligea à se renferme dans les villages d’Unter et d’Ober-Leuchling .
Les divisions Friant et Saint-Hilaire s’avancèrent en ordre, la première à gauche sur les bois auxquels s’appuyait la droite du corps de Rosenberg, la seconde à droite sur les villages d’Ober-Leuchling et d’Unter-Leuchling, situés tous deux à une portée de fusil .
Une mousqueterie des plus meurtrières assaillit la division Saint-Hilaire dans son mouvement contre les deux villages, mais n’ébranla point cette vieille troupe, qui était conduite par le brave Saint-Hilaire, surnommé dans l’armée le chevalier sans peur et sans reproche. Le village d’Ober-Leuchling, plus enfoncé dans le ravin et d’un abord moins difficile, fut emporté le premier.
Celui d’Unter-Leuchling, plus en dehors, plus escarpé, et barricadé intérieurement, fut énergiquement défendu par les Autrichiens. Le 10ème léger, qui était chargé de l’attaque, exposé au double feu du village et du bois en dessus, perdit en un instant 500 hommes morts ou blessés. Il ne se troubla point, pénétra dans le village barricadé, y tua à coups de baïonnette tout ce qui résistait, et fit plusieurs centaines de prisonniers.
Les régiments de Bellegarde et de Reuss-Graitz qui nous avaient disputé les deux villages, se retirèrent alors en arrière sur le plateau boisé, et s’y défendirent avec une nouvelle vigueur. Pendant ce temps la division Friant avait attaqué à gauche les bois auxquels se liaient les deux villages, et y avait refoulé les régiments de Chasteler, archiduc Louis et Cobourg, formant la droite du prince de Rosenberg.
Après un feu de tirailleurs très-meurtrier, le 48ème et le 111ème, conduits par le général Barbanègre, se jetèrent baïonnette baissée, dans toute les éclaircies des bois occupés par les masses autrichiennes, et renversèrent celles-ci .
Le corps de Rosenberg poussé ainsi d’un côté vers les bois qui couronnaient la chaîne, de l’autre au delà des deux villages sur le plateau boisé qui les dominait, fut acculé vers la coupure à travers laquelle passait la chaussée d’Eckmühl.
Retiré sur ce point, il essaya de s’y maintenir. En ce moment, dans le bas à droite, devant Eckmühl, les attaques commençaient avec une égale vigueur.
Tandis que la cavalerie des Bavarois, appuyée par nos cuirassiers, chargeait dans la prairie la cavalerie des Autrichiens, les fantassins wurtembergeois s’étaient élancés sur Eckmühl pour l’enlever à l’infanterie de Wukassovich .
Assaillis par une grêle de balles parties des murailles du château, ils ne se découragèrent pas, et revenant à la charge, ils l’emportèrent. On aperçut alors la chaussée dont les rampes s’élevaient dans la montagne, couverte de masses profondes d’infanterie et de cavalerie.
D’un côté à gauche se voyaient les restes de Rosenberg défendant le plateau situé au-dessus des villages d’Ober et d’Unter-Leuchling, de l’autre côté à droite les hauteurs boisées de Roking, où était établie une partie de la brigade Biber. Il fallait donc enlever ces points, et enfoncer entre deux les masses qui barraient la chaussée.
Napoléon, accompagné de Lannes et de Masséna, ordonna l’attaque décisive, pendant que le général Cervoni, brave officier, déployant une carte sous les yeux, était emporté par un boulet.
Lannes conduisit à droite la division Gudin sur les hauteurs boisées de Roking. Cette division passa la grosse Laber au point de Stanglmühle, d’un côté gravit directement les hauteurs de Roking, de l’autre, prolongeant son mouvement à droite, déborda ces hauteurs, et les enleva successivement à la brigade Biber, qui les disputa pied à pied .
Sur la chaussée, la cavalerie à son tour s’élança sur ce terrain, qui présentait une montée assez roide, et qui était couvert d’une épaisse colonne.
Ce furent les cavaliers bavarois et wurtembergeois qui chargèrent les premiers et qui rencontrèrent la cavalerie légère des Autrichiens.
Celle-ci se précipitant avec bravoure sur un terrain en pente, culbuta nos alliés jusqu’au bord de la grosse Laber. Les cuirassiers français, venant à leur secours, gravirent la pente au galop, renversèrent les cavaliers autrichiens, et parvinrent au sommet de la chaussée à l’instant même où l’infanterie de Gudin, maîtresse de la hauteur de Roking, apparaissait sur leur tête .
Cette infanterie, à l’aspect des cuirassiers français gravissant la chaussée au galop et enfonçant les Autrichiens malgré le désavantage du terrain, se mit à battre des mains en criant : Vivent les cuirassiers !
A gauche la lutte continuait entre Saint-Hilaire et les régiments de Bellegarde et de Reuss-Graitz, qui disputaient le plateau boisé au-dessus de Leuchling .
Saint-Hilaire y pénétra enfin, en chassa les deux régiments autrichiens et les refoula sur la chaussée.
A cette vue les braves généraux Stutterheim et Sommariva s’élancèrent avec les chevaux-légers de Vincent et les hussards de Stipsicz sur l’infanterie de Saint-Hilaire .
Mais celle-ci les arrêta en leur présentant ses baïonnettes, les ramena sur le bord de la chaussée de Ratisbonne, et la couronna d’un côté, tandis que l’infanterie de Gudin la couronnait de l’autre.
La cavalerie autrichienne, accumulée alors sur la chaussée, fit de nouveau efforts contre la masse de nos cavaliers, chargea, fut chargée à son tour, et finit par céder le terrain.
A cette heure l’obstacle était forcé de toutes parts, et la chaussée de Ratisbonne nous appartenait, car à gauche Friant traversant le bois qui surmontait la chaîne descendait déjà sur le revers des hauteurs, et à droite Gudin franchissant aussi cette chaîne, commençait à déboucher dans la plaine de Ratisbonne vers Gailsbach .
Les troupes de Rosenberg et de Hohenzollern, débordées de droite et de gauche, vinrent chercher un abri derrière la masse des cuirassiers autrichiens qui était rangée en bataille à Egglofsheim .
Notre cavalerie les suivit au grand trot, ayant à gauche l’infanterie Friant et Saint-Hilaire, à droite l’infanterie Gudin .
Il était sept heures du soir, la nuit approchait, et derrière les cavaliers bavarois et wurtembergeois, nos alliés, débouchaient en masse, faisant retentir la terre sous le pas de leurs chevaux, les dix régiments de cuirassiers de Nansouty et de Saint-Sulpice .
Un terrible choc était inévitable entre les deux cavaleries, l’une voulant couvrir la plaine dans laquelle en ce moment se repliait l’archiduc Charles, et l’autre voulant conquérir cette plaine pour y terminer sa victoire sous les murs mêmes de Ratisbonne .
Pendant que nos cuirassiers s’avancent sur la chaussée, flanqués de la cavalerie alliée, contre les cuirassiers autrichiens placés aussi sur la chaussée, et flanqués de leur cavalerie légère, la masse des cavaliers ennemis s’ébranle la première à la lueur du crépuscule.
Les cuirassiers de Gottesheim fondent au galop sur les cuirassiers français. Ceux-ci, attendant avec sang-froid leurs adversaires, font une décharge de toutes leurs armes à feu, puis une partie d’entre eux, s’élançant à leur tour, prennent en flanc les cuirassiers ennemis, les renversent, et les poursuivent à outrance.
Alors les cuirassiers autrichiens, dits de l’empereur, viennent au secours de ceux de Gottesheim. Les nôtres les reçoivent et les repoussent. Les braves hussards de Stipsicz veulent prêter appui à leur grosse cavalerie, et ne craignent pas de se jeter sur nos cuirassiers.
Après un honorable effort ils sont culbutés comme les autres, et toute la masse de la cavalerie autrichienne dispersée s’enfuit au delà d’Egglofsheim sur Kofering.
Tandis que nos cavaliers suivant la chaussée au galop, ceux des Autrichiens, trouvant la plaine marécageuse, veulent regagner la chaussée, se mêlent ainsi au torrent des nôtres, et tombent dans nos rangs .
Une foule de combats singuliers s’engagent alors aux douteuses clartés de la lune, et au milieu de l’obscurité qui commence, on n’entend que le cliquetis des sabres sur les cuirasses, le cri des combattants, le pas des chevaux.
Nos cuirassiers portant la double cuirasse, couverts par conséquents dans tous les sens, ont moins de peine à se défendre que les Autrichiens, qui, ne portant de cuirasse que sur la poitrine, tombent en grand nombre sous les coups de pointe qu’ils reçoivent par derrière. Une foule de ces malheureux sont ainsi blessés à mort. Jamais depuis vingt ans on n’a vu une pareille scène de désolation.
Cependant la nuit étant faite, il devient prudent d’arrêter le combat. En s’avançant on peut rencontrer en désordre l’armée de l’archiduc se repliant sur Ratisbonne, et la jeter dans le Danube ; mais on peut aussi la trouver rangée en ordre et en masse sous les murs de cette ville, et capable d’arrêter des vainqueurs qui débouchent sans ensemble, à travers plusieurs issues, de la vallée de la grosse Laber.
Napoléon arrive en ce moment avec Masséna et Lannes à Egglofsheim. Après quelques instants de délibération, le parti le plus sage l’emporte, et il remet au lendemain à livrer un seconde bataille, si l’archiduc tient devant Ratisbonne, où à le poursuivre au delà du Danube, s’il se retire derrière ce fleuve. Il donne donc l’ordre de bivouaquer sur place.
C’était agir sagement, car les troupes expiraient de fatigue, celles surtout qui venaient de Landshut. Il n’y avait même d’arrivés que les Wurtembergeois, Morand et Gudin. Les trois divisions de Masséna se trouvaient encore en arrière.
Cette journée du 22, dite bataille d’Eckmühl, et méritant le titre de bataille par le nombre des troupes engagées, par l’importance décisive de l’évènement, nous avait coûté environ 2.500 hommes hors de combat, la plus grande partie appartenant aux divisions Friant et Saint-Hilaire, lesquelles par leur conduite dans ces quatre jours obtinrent pour leur chef le titre de prince d’Eckmühl, titre glorieux bien justement acquis.
Elle avait coûté aux Autrichiens environ 6 mille morts ou blessés, un grand nombre de bouches à feu, et 3 ou 4 mille prisonniers, recueillis à la nuit dans les villages que l’on traversait à mesure que l’armée autrichienne battait en retraite.
Cette bataille avait définitivement séparé l’archiduc Charles des corps de Hiller et de l’archiduc Louis, et l’avait rejeté en désordre sur la Bohême, après lui avoir enlevé sa ligne d’opération, la Bavière, et la grande route de Vienne.